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COSMOGONIES

où nous l’entendons aujourd’hui) par des jointures d’expérience et de raisonnement, que d’une adhésion d’indifférence ou de mol abandon, alors que contredire, ou simplement douter, entraîne une diminution fâcheuse, à l’estime de la foule, – puissante par son bruit d’affirmations.

Bien mieux, l’adhésion, même de pure forme, est ici superflue. Quand on nous amuse en chantant : Il pleut, il pleut, bergère… exige-t-on de nous la croyance qu’il a vraiment plu sur la houlette et les moutons ? Chacun va répétant, et c’est tout ce qu’il faut. Les premières légendes furent probablement chantées avant de pouvoir descendre à la prose des observations, et le rythme et le ton constituèrent des puissances de conviction beaucoup plus décisives que le fond, chanceusement transmis de bouche en bouche, sans jamais lasser l’incompréhension. Le fait est qu’on ne se proposait rien au delà d’une émotivité de délectation. Chacun se présentait avec son poème, bien ou mal agencé, et celui qui le chantait au plus haut obtenait le plus de contentements. Tant de vestiges nous sont demeurés de cet ancien état d’esprit, encore si voisin du nôtre, qu’il n’est pas besoin d’autres témoignages des lentes évolutions de l’entendement humain.

Parce qu’aucun effet de « conviction », au sens moderne du mot, ne fut d’abord formellement requis, le flot des chants faisait pulluler sans relâche une surabondance de contes, de mythes rudimentaires, qui, loin de se faire concurrence, s’accommodaient entre eux, se pénétraient pour des renouveaux d’énergie. Alors, tout était bon, tout était « vrai », tout était, au moins, acceptable, en l’absence d’une démarcation de critique entre l’erreur et la vérité. La défaillance était de se taire, quand pour convaincre il suffisait de chanter[1].

Il est généralement admis que les plus beaux hymnes de l’écriture biblique sont des plus anciennes productions. Même remarque pour les hymnes védiques[2]. Rien de plus naturel,

  1. Chacun sait que l’étymologie identifie les idées de poésie et de création. Rien n’est plus légitime. La prose veut un thème précis, ouvert à tous débats. Le poète n’a besoin, pour son chant, que d’un état d’émotivité prêt à réaliser un appareil de fantaisies dont il est vraiment l’inventeur, le Créateur.
  2. Exprimant un état de civilisation de l’an 2000, ou 3000, av. J.-C. — avec un point d’interrogation.