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AU SOIR DE LA PENSÉE

Entre les troupeaux de primitifs et les groupements ethniques à muer plus tard en agents de civilisation, des abîmes d’obscurité demeurent. Même le lien des filiations ultérieures nous échappe-t-il souvent depuis les principales formations dont le souvenir s’est chanceusement conservé. N’est-ce pas une notable surprise de découvrir les mêmes développements de légendes, de tableaux, dans les grands poèmes de l’hellénisme et de l’Inde ? Chacun peut lire le Ramayana, qui dit la guerre des Géants, des Titans, des monstres aux cent bras contre les Dieux émanés de Brahma, secourus des singes magiciens dont le chef, Hanuman, accomplit de tels exploits qu’il en est demeuré Dieu du panthéon hindou. Le poème suggérerait plutôt des rapprochements avec la théogonie d’Hésiode, si personnages et scènes du drame n’évoquaient directement, à maintes reprises, des souvenirs de l’Iliade. Les Grecs, pour maintenir l’originalité de leur gloire, disaient qu’on avait « traduit Homère dans l’Inde ». N’était-ce pas confirmer la ressemblance des fictions ?

Et l’hellénisme n’est pas seul à rencontrer dans l’Inde la source de ses révélations. Le christianisme, à son corps défendant, doit reconnaître que l’idée d’une « incarnation » de la Divinité lui est venue de l’Inde où elle est de littérature courante, aussi bien que la Trinité (Trimourti). Rama, incarnation de Vichnou, faisant acte de « rédempteur », nous montre encore de quelles antiques traditions le dogme chrétien s’est inspiré[1].

Il ne peut être ici question d’instituer un débat de philosophie entre des cosmogonies, étrangères à l’observation, qui sont, avant tout, des élans de poésie. Seuls, les Védas ont pu joindre,

  1. Il va sans dire que cette source « païenne » du dogme chrétien n’est pas acceptée par les autorités de notre Église. Comme il est impossible de renverser l’ordre des temps, on se borne à nous dire sommairement que les analogies de la Trinité hindoue et de la Trinité chrétienne viennent de « pressentiments » dont la Divinité a favorisé (on ignore pourquoi) les adorateurs de « faux Dieux », destinés au feu éternel, avec ou sans cette demi-révélation. Pourquoi la Divinité aurait-elle procédé par voie de confidences insuffisantes sans résultats possibles, on néglige de nous le dire, et pour cause. Trinité, incarnation, rédemption, dogmes authentiques, ne nous furent « révélés » qu’au rebours de la marche des âges - le phénomène postérieur devenant la source du phénomène antérieur, contrairement aux lois de causalité. Pour vous édifier lisez l’Histoire des religions, par M. l’abbé de Broglie.