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COSMOGONIES

achever d’ensevelir les vieux poèmes « païens » sous les débordements d’une métaphysique explicative, qui acceptait de « raisonner » l'irraisonnable, dans la recherche des phénomènes du Cosmos.

Les poursuites contre Anaxagore et Aspasie, le procès de Socrate ou l’on s’abstint prudemment des revendications de doctrine, furent le désastre des Dieux que le terrible raisonneur avait mis en mauvaise posture. De ce même Socrate, de ce même Platon, poète et métaphysicien redoutable, allait surgir le renouveau d’un culte d’Asie devant lequel nos bons Olympiens, déjà sans défense contre le fer de Diomède, allaient s’effondrer.

Aussitôt que Socrate, par une incomparable dialectique, eut sapé les piliers de l’Olympe, l’exaltation hypermétaphysique se donna champ par un platonicisme de surenchère. Cosmogonies des stoïciens, des péripatéticiens, d’Épicure, ne pouvaient apporter que des affirmations, laissant Aristote, par anticipation, prisonnier des chrétiens. Philon d’Alexandrie émerge, pour associer l’idée de Dieu à celle du mouvement, annoncer l’unité de la substance indestructible, professer que la création continue et continuera toujours. Par Plotin, cependant, le mysticisme hindou retrouvera quelque chose de son antique essor jusque chez les Esséniens, les Gnostiques, et tant d’autres, pour le malheur du Moyen Age et le nôtre. Sans livres sacrés, sans dogmes, sans clergé, sans traditions mystiques, Grecs et Romains, embarrassés de leurs Dieux, s’étaient mis en déroute au travers des massacres du Cirque. Fidèle à la tradition des Césars, Rome chrétienne, un jour, prétendra retenir d’une main violente le gouvernement des intelligences en un absolutisme d’autocratie cultuelle pour la mise en œuvre de la conquête des Gentils par saint Paul.

On nous dit que ce fut un « progrès » de n’avoir plus qu’un Dieu. Est-ce donc bien certain ? Où trouver le « progrès » de l’oligarchie à l’autocratie divine ? N’est-ce pas l’absolutisme toujours, avec toutes les formes d’asservissement qui en sont le résultat ? Je vois, au compte des « païens », la condamnation d’Anaxagore et la mort de Socrate. Il est aujourd’hui reconnu que c’est surtout la résistance au culte de César[1],

  1. Une inscription de Magnésie de Méandre donne à Claude ce titre : « le plus grand des Dieux ».