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AU SOIR DE LA PENSÉE

Trop naturelle est la tendance de se reporter du brahmanisme originel à ses retentissements dans l’histoire, pour y découvrir des traits de survivance dans les cultes qui en sont dérivés. Le grand phénomène védique est à peine en voie de s’éclaircir, et c’est défigurer cet incomparable mouvement d’évolution mentale, aux suprêmes hauteurs de la pensée humaine, que d’y chercher les fondements d’un débat purement doctrinal, quand la doctrine n’y apparaît qu’à travers l’émotivité. Sans doute, l’uniformité organique des entendements divers commande des traits communs d’intellectualité. Mais là n’est pas la source originelle des mouvements d’humanité qui jettent l’homme, d’un cœur irréductible, aux bêtes du cirque, aux tortures des échafauds. On n’affronte pas communément le fer et le feu pour un problème de science pure. Le reniement de Galilée l’a fait voir. Un savant sacrifiera sa vie, heure par heure, à l’élaboration d’un énoncé d’expérience. En même temps, il vous fera trop souvent toutes les concessions de formules religieuses qui le mettront en paix avec la part de conventions sociales dont il a besoin pour la poursuite de son labeur. Cependant, des grands émotifs donneront tout pour une idée à faire vivre. Rien ne leur coûtera pour la promotion d’un état de volonté supérieure auquel ils ne revendiqueront même pas la gloire d’avoir collaboré.

Rien ne serait donc plus vain que de chercher, en dehors de quelques traits rituels, des enchaînements de pure spiritualité dans les grands mouvements religieux qui ne se sont succédé que pour s’opposer, s’excommunier. Une bonne histoire des hérésies chrétiennes et de leurs développements de croyances nous ferait apparaître pour quelles misères de verbalisme nos dogmatiques se sont entre-tués.

Cependant, toute féconde en miracles, l’Inde brahmanique, initiatrice, s’est révélée maîtresse des civilisations à venir par ses conceptions géniales de la roue cosmique et de la métempsychose dont la science moderne n’a eu qu’à modifier légèrement les postulats pour formuler sa loi d’universelle évolution. Ici la métaphysique de l’Inde fut tout près de rejoindre la positivité. Quand on la voit s’achever du doute védique, d’où dérive l’universelle pratique d’une philosophique tolérance, il faut bien reconnaître qu’aucun pays n’a occupé une si éminente place