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AU SOIR DE LA PENSÉE

témoin, à toute la vie de la nature. Son action n’est qu’apparente, son instinct est de jouir de la nature, puis d’en reconnaître le néant. Ce sentiment est le seul vrai : il mène a la délivrance. Grâce à lui, les facultés raisonnables arrivent à l’empire. Dès que le néant de la nature est reconnu, le but de la vie est atteint. »

Bunsen veut que le Nirvana, l’extinction, signifie simplement la paix de l’âme. Il fabrique ainsi un bouddhisme déiste à la mesure de sa propre doctrine : ce qui le met en contradiction directe avec Burnouf, sur qui, je dois le reconnaître, il n’a pas l’avantage. Je n’emprunterai au grand commentateur du bouddhisme et de ses origines, que sa conclusion qui est formelle :

« Les doctrines athées du Çamkya étaient, en ontologie, l’absence d’un Dieu, la multiplicité et l’éternité des âmes humaines, et, en physique, l’existence d’une nature éternelle, douée de qualités, se transformant d’elle-même, et possédant les éléments des formes que revêt l’âme humaine dans son voyage à travers le monde. Çakya-Mouni prit à cette doctrine l’idée qu’il n’y a pas de Dieu, ainsi que la théorie de la multiplicité des âmes humaines, celle de la transmigration, celle du Nirvana ou de la délivrance, qui appartenait en général à toutes les écoles brahmaniques. Seulement, il n’est pas facile de concevoir aujourd’hui ce qu’il entendait par le Nirvana, car il ne le définit nulle part. Mais comme il ne parle jamais de Dieu, le Nirvana, pour lui, ne peut être l’absorption de l’âme individuelle dans le sein d’un Dieu universel, ainsi que le croyaient les Brahmanes orthodoxes… Le mot de vide, qui paraît déjà dans les monuments que tout nous prouve être les plus anciens, m’induit à penser que Çakya-Mouni vit le bien suprême dans l’anéantissement complet du principe pensant. Il se le représente, ainsi que le fait supposer une comparaison répétée souvent, comme l’épuisement de la lumière d’une lampe qui s’éteint. »[1]

Burnouf a principalement travaillé, comme on sait, sur les écrits népalais et thibétains. Si l’on a la curiosité de vouloir aborder les quatre grandes écoles de métaphysique bouddhiste au Népal, on consultera leurs écrits sans doute utilement, mais au prix d’un effort soutenu, car la matière épuise tous les raffinements de l’extrême subtilité de l’Asie. Ce que je retiens des

  1. BURNOUF, Introduction à l’histoire du Bouddhisme.