Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 1.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
LE MONDE, L’HOMME

par la vertu de l’abstraction réalisée[1], ils ont fourni d’incomparables chevauchées parmi les fondrières des mésinterprétations logiquement liées.

Cependant, il n’est pas de méconnaissance pour résister indéfiniment à l’épreuve de la durée, et nous sommes arrivés à un âge où les constructions de positivité doivent affronter les rêves d’imaginations obnubilées. Comment le phénomène de la personnalité, dont nous sommes le vivant témoignage, pouvait-il surgir de l’univers impersonnel, c’est ce que nos aïeux lointains se trouvaient hors d’état de comprendre, tandis qu’illeur paraissait tout simple de tirer d’une personnalité cosmique universelle, c’est-à-dire sans les limites qui font la personnalité, l’engendrement d’individualités terrestres dans les cadres d’imaginaires cosmogonies ? Cependant, nous ne pouvons échapper toujours aux rigueurs de l’observation positive. Pourquoi faut-il que notre loi soit de dire avant de regarder ?

Dans le monde organique, et même dans le monde inorganique (que nous disons amorphe et qui n’en est pas moins tout de morphologie) nous avons vu le phénomène d’individuation attribuer un caractère particulier d’indépendance relative à des groupements élémentaires pour la constitution d’une unité de dynamisme passagèrement constituée. De là les innombrables individualités de la faune et de la flore, issues du plasma cellulaire, représentées dans les séries inorganiques sous les espèces du cristal, de l’eau mère et des colloïdes qui sont de correspondances transposées. C’est en se laissant suggérer par ce spectacle que les généralisateurs sans frein des premiers âges en sont venus à personnifier le Cosmos lui-même, c’est-à-dire l’infinité qui, faute de limites, échappe précisément à l’individuation de positivité.

Ainsi mis en sa place, le phénomène de l’individuation organique va se préciser graduellement dans les successions animales, en des achèvements progressifs de sensibilité, de conscience, de mentalité, de volonté jusqu’à l’activité personnelle de l’homme pensant. Interdépendance générale à laquelle rien ne peut échapper, voilà ce que nous pouvons dire du Cosmos. Apparente indépendance, poussée jusqu’à la sensation du « libre arbitre »

  1. Voir le chapitre : Les Hommes, Les Dieux.