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AU SOIR DE LA PENSÉE

au centre de tout, car le monde, selon la Révélation, est fait à notre usage. L’aède le clame, et le métaphysicien se vante de l’expliquer. Mais le savant diffère. Première déception qui sera suivie de tant d’autres. Et puis, cet univers, encore, l’aède ne l’a conçu qu’au sens restreint de ce que nous découvrons des astres et de leur course dans l’étendue de notre espace. On nous parle maintenant d’un au-delà et de répétitions infinies d’au-delà, qui vont se succédant toujours. Chercher les déterminations d’un lieu, sans jalons de fixité positive, est une entreprise qui n’a découragé ni métaphysique, ni poésie.

À notre terre, toutefois, à nos astres, à notre ciel de mouvements ordonnés, nous pouvons, nous devons demander des comptes, et ces comptes, ce ne sont ni des chants, ni des rêves qui pourront les régler. Voir, observer, discerner des mouvements de rapports, les Chaldéens osèrent l’entreprendre. Combien de siècles auparavant, les Primitifs avaient-ils commencé d’ouvrir les yeux sans regarder ? Comment auraient-ils deviné que les voix articulées, qui nous donnèrent d’abord une si haute supériorité sur la stupeur animale de nos lointains ancêtres, allaient être la source de capitales méprises dont les effets continueraient de s’imposer, même quand il serait reconnu que les mots ne représentent trop souvent les choses qu’à la condition de les mésexprimer.

Dans les prodigalités du temps, le problème pouvait attendre que l’homme de la Chapelle-aux-Saints, à peine gratifié peut-être de quelques monosyllabes rauques, eût produit inconsciemment, par l’évolution, des lignées capables de se poser objectivement les questions élémentaires d’une cosmologie. — ce qui n’est peut-être pas moins beau que d’en trouver de provisoires solutions. Ce fut, comme j’ai dit, l’office de nos Divinités de nous avoir fourni une pierre d’attente, fondée sur un ordre continu d’insuffisances pour une construction volante de rêves qu’il s’agit maintenant de remplacer par un appareil d’architecture solidement ordonné.

Que pouvaient être les « Révélations » de la théologie, sinon de contes bleus à la portée d’intelligences en acte de se débattre dans la gangue des sédiments d’obscurité ? Avec l’homme, son créateur, du fétichisme primitif au panthéisme de l’Inde, la Divinité, née de nous, évolue avec nous. Sa « Révélation » des