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AU SOIR DE LA PENSÉE

l’homme est le plus haut du drame ou s’affrontent l’impassible inconscience des éléments cosmiques et la conscience aiguë d’une humanité avide de savoir.

En quelques paroles très simples, Kant a dit sa commotion de rêves, de pensées, dans les flottements de ce voile céleste où des fulgurations éperdues déroulent la splendeur de gestes enflammés. Descartes veut faire tourbillonner le monde. Képler, épris d’harmonie universelle, trouve la loi fondamentale des mouvements planétaires. Newton solidarise toutes les activités du Cosmos dans une gravitation universelle. L’homme et l’univers, si longtemps tiraillés par les appels faussés de l’inconnu des choses, pourront enfin se concilier en une formule supérieure exprimant une vue générale d’observations vérifiées.

Cela, c’est le monde newtonien que l’homme évoluant est contraint, jusqu’à nouvel ordre, de tenir pour une représentation suffisante du dehors. Il a des formules du soleil, des

    cosmiques a pour caractère universel la détermination subjective d’une limite, qui n’est, dans l’objectivité, qu’une rencontre de mouvements.

    Reculer indéfiniment les frontières du Cosmos est à la portée de tout le monde, puisqu’il n’y a pas d’effort intellectuel dans une simple formule de négation. Le mot « infini », qui ne fait rien que d’exprimer une impuissance, devient ainsi d’une commodité singulière pour avoir l’air de formuler ce que nous ne formulons pas, en raison d’une adaptation trop lointaine de notre « fini » aux successions de « finis » dont nous n’apercevons pas la « fin ».

    C’est l’écueil de la connaissance humaine de vouloir réaliser par des sonorités vocales l’inconnu où s’arrête l’effort de ses relativités. Depuis les premiers jours de l’humanité pensante, cette méthode a prévalu jusqu’aux enregistrements systématiques de l’expérience vérifiée. Que, d’étoile en étoile, « l’infini » se déroule dans les champs sans limite de l’espace et du temps, c’est une constatation qui ne peut affecter les réalisations de notre passage éphémère de « fini en fini ». Les spéculations à cet égard sur le retour des choses peuvent se donner carrière selon les caprices de l’imagination.

    La seule doctrine qu’on ne puisse pas construire sans manquer aux lois de la connaissance humaine, c’est d’individuer, dans les formes d’un verbalisme sans fondement objectif, ce qui, par définition même, est au delà de l’individuation, puisque toute limite lui est refusée.

    Lors donc que Pasteur, dans son discours de réception à l’Académie française, s’efforce d’entr’ouvrir la porte de la connaissance aux personnifications divines de « l’infini », il ne fait que renoncer, pour un temps, aux données de l’expérience par lui-même, en d’autres domaines, pleinement maîtrisée. Les premières Divinités des hommes primitifs suffisent à montrer qu’elles n’ont eu rien à voir avec une préoccupation de « l’infini » étrangère à ces âges de l’humanité.