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AU SOIR DE LA PENSÉE

pas par des feux d’artifice de verbalisme qu’on nous délogera d’une ferme position qui consiste à prendre acte de ce qui est. À propos de l’atome, nous reviendrons sur cette affaire. Tout ce que j’en veux dire aujourd’hui, c’est que, dans la durée infinie de l’univers, le nivellement des températures par le rayonnement (mort thermique) régnerait depuis longtemps si le dernier mot avait pu demeurer à « la dégradation de l’énergie ». Après avoir quasi divinisé l’énergie, comment nos grands physiciens pourraient-ils se résoudre à la dégrader ? Je prie qu’on ménage la bonne volonté d’un public que la théologie elle-même n’a pu décourager.

Nous n’observons, autour de nous comme en nous-mêmes, que des échanges continus d’énergie entre les divers systèmes qui constituent le Cosmos. Que comprendre d’une « mort thermique » par cessation de toutes transformations d’énergie ? Cette conclusion supposerait que l’univers infini puisse former un système isolé. Hypothèse audacieuse, en admettant qu’elle ait une signification.

Heureusement, les savants, obligés par les faits d’apporter au principe quelques amendements, ne lui reconnaissent plus qu’une valeur statistique. Le système évolue dans une direction déterminée qu’on peut tenir jusqu’à nouvel ordre pour insuffisamment reconnue. « La conséquence la plus importante peut-être de ce résultat, remarque à ce propos M. Langevin, est que la configuration d’équilibre prévue par la thermodynamique, la configuration d’entropie maximum, nous apparaît maintenant comme la plus probable[1], mais non la seule possible pour l’ensemble… Le principe de Carnot perd ainsi sa signification absolue : les configurations d’équilibre qu’il permet de prévoir et qu’il représente comme rigides ne correspondent en réalité qu’à un aspect moyen autour duquel la matière est en frémissement continuel[2]. »

Nous pouvons saisir ainsi le mécanisme de l’évolution du monde sans renoncer à attendre les rencontres appropriées qui permettront à l’univers de poursuivre son cours — résultat qui a son prix.

Pour la bonne règle, je dois mentionner ici la théorie de la

  1. Au sens mathématique du mot.
  2. Langevin, La Physique depuis vingt ans.