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LE MONDE, L’HOMME

la sensation de notre liberté se trouve d’une affirmation transposée de notre inconscience des phénomènes de vie végétative à la conclusion de leur irréalité. Pour s’exprimer correctement, l’observateur devrait dire, non pas : J’ai la sensation de ma liberté, mais : Je n’ai pas la sensation de mes dépendances — ce qui est fort différent. D’autant plus différent que cette « liberté » nous met à l’état d’une « cause première » sous la dépendance d’une cause supérieure — manifeste non-sens.

Ce qu’on a pu dire et médire de cet état des conditions qui nous ont faits ce que nous sommes, doit être relégué dans l’ordre des fantaisies. C’est le propre des méconnaissances d’aboutir de toutes parts à des épaississements d’obscurité. Quel autre moyen pour retrouver le grand jour, que de revenir aux données organiques du problème dans leur originelle simplicité ? Trop de « psychologues » ont pris l’habitude d’aller chercher leur Moi dans la lune et souvent, même, de l’y rencontrer.

La simple mise en place du Moi humain dans la série évolutive des Moi organiques nous ramène d’emblée au point de vue naturel de l’observation élémentaire. Un Moi ne peut être que l’expression sommaire d’un organisme vivant. De l’infusoire à l’homme, on n’en découvre que des degrés — l’unité de l’organisme faisant l’unité d’une sensation synthétique de l’individu.

Quant à se demander si cet individu, ainsi formé, est libre, c’est-à-dire originellement indépendant des activités qui l’ont produit, la question (d’ailleurs contradictoire), se pose aussi bien, pour l’infusoire et pour toute la série vivante, que pour le plus haut exemplaire d’humanité. Qu’y faire si les données de l’observation commandent la réponse ? La liberté suppose un Moi indépendant de ses organes, qui se déciderait souverainement en dehors de tout phénomène antécédent, comme le Dieu lui-même. C’est la fonction de l’âme métaphysiquée. Il reste seulement à savoir comment on peut l’accorder avec l’observation positive.

La question du libre arbitre se pose ainsi exactement, tout au long de l’échelle animale, dans les mêmes termes que chez l’homme plus ou moins évolué. Les réactions du monde extérieur, commandées par l’organisme, se produisent dans des conditions identiques et pour d’identiques résultats. Biologique-