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AU SOIR DE LA PENSÉE

bides qu’il s’agit de faire surgir la longue et laborieuse édification d’un Moi d’organique sensibilité, qui, par l’âpre expérience des choses, renversera l’ordre des grandeurs supposées.

Quel devenir du Moi dans cette étendue sans limites, sans autres points de repère que les mouvantes orbites d’astres aux jaillissements de monstrueuses fusées qui sont des alternances d’évolutions sans arrêt ? Des cycles lumineux dont l’atome nous paraît le foyer, jusqu’aux éclairs démesurés qui coupent les transitions des nébuleuses aux concentrations solaires, voilà le cadre de l’existence humaine. Perdue dans l’espace et le temps, elle a droit aux données planétaires du champ de ses évolutions. Et c’est aux premiers pas de cette destinée fatidique que ses rêves vont magnifiquement rebondir d’un premier effort du connaître au plus merveilleux déploiement d’ailes dans les orbes de la pensée.

Issu des primitives manifestations de la vie, un primitif Moi organique répondra par une simple réaction de contractilité, aux excitations du dehors, pour nous conduire, par une féerique avenue d’individuations agrandies, jusqu’à l’éclosion de la personnalité pensante dont les développements se poursuivent sous nos yeux. Au long défilé des organismes successivement échelonnés se rencontreront peut-être des traits de l’homme à venir qui s’y pourra reconnaître en des sursauts de désirs, en des déterminations de volonté, où se caractérise la force ou la faiblesse de l’organisme déterminé. Que de variations, que de différences, que de contradictions même, dans la suite de ces Moi en devenir incessant.

Chacun peut constater chez lui-même des successions d’états de conscience souvent opposés. Tout cela se conjugue en l’unité de plus en plus ample d’une vie de processus complexes maintenus dans les correspondances des développements continus de la personnalité. De la première enfance à l’extrême vieillesse, quel enchevêtrement d’activités différentes, ou même contraires, dans les tourbillons des énergies ! Est-ce donc de cette variété, de cette multiplicité, de cette complexité de phénomènes, que notre métaphysique a pu construire la contradictoire entité d’un Moi immuable, de constance éternelle, quoique toujours en activités de changements ?

La notion de temps résolument écartée, l’homme se met à sa