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LES HOMMES, LES DIEUX

-être d’on ne sait quels souvenirs, se plaisait à le rappeler.

Sur le crâne lui-même, où l’équilibre de la tête, dans la station bipède, obligera le trou occipital à se porter en avant, une capitale remarque de M. Boule : « Chez les singes anthropoïdes la surface extérieure du lobe frontal représente 32 pour cent de la surface totale de l’hémisphère cérébral correspondant. Chez les hommes actuels, la proportion est en moyenne de 43 pour cent. Chez l’homme de la Chapelle-aux-Saints, elle est d’environ 36 pour cent. Au point de vue du développement relatif de son lobe frontal, surbaissé, rétréci, l’homme fossile se placera donc entre les singes anthropoïdes et les hommes d’aujourd’hui et même plus près des premiers que des seconds. » D’une étude attentive de MM. Boule et Anthony, sur le moulage endocranien de l’homme de la Chapelle-aux-Saints, la conclusion suivante : « L’encéphale de l’homme fossile de la Chapelle-aux-Saints est déjà un encéphale humain par l’abondance de sa matière cérébrale. Mais cette matière manque encore de l’organisation supérieure qui caractérise les hommes actuels. »

Selon ces auteurs, il est probable que l’homme de la Corrèze, en raison d’une légère dissymétrie cérébrale, était déjà unidextre, comme ceux de Néanderthal et de Gibraltar. On peut encore tenir pour probable, d’après l’état des parties antérieures des lobes frontaux, nécessaires à la vie intellectuelle, que les hommes de la Chapelle-aux-Saints et de Néanderthal ne devaient posséder qu’un psychisme rudimentaire, supérieur à celui des anthropoïdes actuels, mais notablement inférieur à celui de n’importe quelle race humaine de nos jours.

Les fossiles connus jusqu’ici nous enseignent ainsi qu’au lieu du fameux « chaînon manquant » entre le singe et l’homme[1], nous sommes en présence d’une incalculable série de transitions nécessaires à l’anthropoïde pour s’humaniser. Qu’y eut-il dans les boîtes craniennes de ces premiers échantillons de l’homme ? Point d’apparence que nous puissions instituer là-dessus mieux que de fragiles inductions. Pourtant, nous tenons des points

  1. J’emploie cette formule courante pour abréger. Mais il demeure entendu que l’homme ne descend pas du singe. La doctrine positive est simplement d’un tronc commun.