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LES HOMMES, LES DIEUX

Tout animal a ses cris d’appel, d’intonations appropriées, sans doute, à toutes nuances de relations. Peut-on inférer de l’oiseau que la parole de l’homme ait commencé par un chant ? Le verbe, d’une composition de cadences, serait un son que, pour les besoins d’une activité supérieure, nous aurions cessé de filer. La recherche d’une netteté de propos manifesterait le sens de l’évolution.

Un très long temps, sans doute, fut nécessaire à l’assouplissement des cris rauques du premier sauvage, par des gymnastiques du gosier permettant des flexions représentatives d’un enchaînement de sensations à transposer sur un clavier d’émissions vocales. Issue des conformités d’organismes différenciés, l’œuvre dut se poursuivre par des traits communs et différents à la fois dans tous les groupements d’humanité.

Le point à retenir est de la spontanéité générale de la procédure organique qui mit successivement tous les peuples au chantier, sous l’impulsion d’une recherche générale des combinaisons vocales de plus en plus complexes pour répondre à toutes les nuances d’expression. On ne peut qu’admirer la puissance d’un ensemble d’évolutions organiques où l’inconscient et le conscient mêlèrent leurs plus hautes activités en vue d’ouvrir la voie au potentiel humain d’une pénétration des rapports. L’enchaînement des phénomènes organiques fera celui de la procédure verbale tendant à les transposer.

Les langues se trouvent ainsi le produit d’un effort commun des volontés humaines dûment coordonnées. Nous avons, tous les jours, sous les yeux le spectacle des courants de mentalité populaire par l’effet desquels les manifestations du vocable, communément surgi, imposeront des directions particulières de pensée. À tout moment, ainsi, les langues continuent de se faire sous nos yeux. Produits d’évolutions liées, elles poursuivront leurs développements sans relâche dans l’effort incessant de connaître, jusqu’au jour où, pour quelque cause que ce soit, s’arrêteront nos destinées.

Les hommes d’intelligence éclairée ont eu et auront toujours plus de part dans les structures supérieures de l’œuvre évolutive. Mais il est assez visible que, par la multiplicité et les répétitions de l’usage, le nombre n’a pas manqué de faire prévaloir,