Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déjà tellement énervé que j’étais à la merci de tous les prestiges, dont la moindre circonstance fortuite pouvait abuser mon imagination ? À ceci, je n’aurais su que répondre. Je sentais seulement que ce qui s’était passé entre miss Halcombe et moi, pendant que nous revenions du pavillon, m’avait très-singulièrement affecté. La prévision de quelque péril impossible à découvrir, caché qu’il était dans les insondables profondeurs d’un avenir inconnu, pesait fortement sur moi. Comme autant de nuages amoncelés sous un ciel obscur, mille doutes assiégeaient ma pensée ; je me croyais déjà lié, peut-être pour jamais, à une série d’événements funestes, chaîne solide que rien ne pourrait rompre, pas même mon prochain départ du Cumberland ; — aucun de nous en verrait-il l’issue, l’issue définitivement arrêtée ?… Si poignante que fût la souffrance produite en moi par le misérable avortement de mon fol amour, elle semblait émoussée, amortie, par l’appréhension dominante de cette obscure menace que le temps tenait suspendue sur nos têtes.

Je m’occupais de mes dessins depuis un peu plus d’une demi-heure, lorsque j’entendis heurter à ma porte. Sur ma réponse, elle s’ouvrit, et, à ma grande surprise, miss Halcombe entra chez moi.

Elle semblait irritée et troublée. Elle prit une chaise, sans me laisser le temps de la lui offrir, et s’assit à l’instant même fort près de moi.

— Monsieur Hartright, me dit-elle, j’espérais que nous en avions fini, pour aujourd’hui du moins, avec tous ces tristes sujets de notre entretien. Mais il n’en est pas ainsi. Quelques odieuses manœuvres sont mises en jeu pour effrayer ma sœur et la détourner de son prochain mariage. Vous m’avez vue envoyer le jardinier au château, avec une lettre dont l’adresse, d’une écriture singulière, portait le nom de miss Fairlie ?

— Certainement.

— Cette lettre est un écrit anonyme, une ignoble tentative pour faire tort à sir Percival Glyde dans l’esprit de ma sœur. Elle l’a tellement agitée, tellement alarmée, que j’ai eu toutes les peines du monde à lui rendre le