Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/218

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coup, et, de la façon la plus brusque, la plus mystérieuse, il me laisse entendre que, depuis son retour à Londres, il a été constamment guetté, constamment suivi par des hommes dont la figure lui est inconnue. Il reconnaît qu’il lui serait impossible de justifier ce bizarre soupçon en désignant, en dénonçant telle ou telle personne en particulier ; mais il déclare que le soupçon lui-même ne le quitte ni jour ni nuit. Cela m’a effrayée, parce qu’il semblerait en résulter que sa préoccupation, au sujet de Laura, porte peu à peu le trouble dans son esprit. Je compte écrire immédiatement à quelques-uns des anciens amis de ma mère, fort influents à Londres, et le recommander chaleureusement à leur bienveillance. Changer de séjour et changer de travaux peut lui être indispensable ; — il faut peut-être cela pour le sauver, en effet, dans cette passe critique de son existence.

À mon grand soulagement, sir Percival s’est fait excuser de ne pas déjeuner avec nous. « Il avait pris chez lui, de bonne heure, une tasse de café ; sa correspondance l’y retenait encore. Sur les onze heures, si ce moment leur convenait, il aurait l’honneur de venir trouver miss Fairlie et miss Halcombe. »

Pendant qu’on nous rendait ce message, mes yeux étaient arrêtés sur le visage de Laura. En entrant chez elle, le matin, je l’avais trouvée d’un calme, d’une tranquillité inexplicables, et qui restèrent les mêmes pendant tout le déjeuner ; même une fois chez elle, et tandis qu’assises sur le sopha nous attendions sir Percival, elle conserva tout son sang-froid.

— N’ayez pas peur de moi, Marian, se borna-t-elle à me dire ; je puis bien faiblir avec un vieil ami comme M. Gilmore, ou avec une sœur chérie comme vous ; mais devant sir Percival soyez sûre que je tiendrai bon…

Je la regardais, et je l’écoutais avec une surprise muette. Depuis tant d’années que nous vivions dans l’intimité la plus étroite, cette force passive de son caractère m’avait été cachée, — et cachée aussi à elle-même jusqu’à ce que l’amour l’eût mise en relief, jusqu’à ce que l’amour l’eût développée.