Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/238

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Mais je voulus en parler encore. Je refoulai au-dedans de moi ces pleurs méprisables qui ne me soulageaient point, et n’aboutissaient qu’à la rendre malheureuse ; puis, j’argumentai, je plaidai contre elle avec tout le calme possible. Tout cela ne servit de rien. Elle me fit répéter par deux fois la promesse de passer ma vie auprès d’elle, quand elle serait mariée, et ensuite m’adressa, de but en blanc, une question qui mit à l’improviste sur une voie nouvelle la douloureuse sympathie qu’elle m’inspirait.

— Pendant notre séjour à Polesdean, me dit-elle, vous avez reçu, Marian, une lettre ?…

Sa voix altérée, la soudaineté avec laquelle son regard s’écarta de moi, tandis qu’elle me dérobait son visage en le posant sur mon épaule, l’hésitation qui lui coupa la parole avant que sa question fût achevée, tout cela m’apprit, et m’apprit trop clairement, à qui avait trait cette curiosité craintive, n’osant s’exprimer qu’à demi.

— Je croyais, Laura, que vous et moi ne devions plus jamais faire allusion à ce jeune homme, lui dis-je avec douceur.

— Vous avez reçu une lettre de lui ? reprit-elle, insistant.

— Oui, répondis-je, puisque vous voulez le savoir.

— Comptez-vous lui écrire encore ?

J’hésitai devant cette question. Je n’avais pas voulu lui parler de cet exil auquel il s’était condamné, ni de la part que j’avais eue dans l’exécution de ses projets, dans la réalisation de ses espérances nouvelles. Comment donc répondre à ma sœur ? Dans le pays où il était allé, aucune lettre ne pouvait lui parvenir, d’ici à plusieurs mois, d’ici peut-être à plusieurs années.

— Supposons que j’aie l’intention de lui écrire encore, dis-je enfin. Qu’en attendez-vous, Laura ?…

La joue appuyée à mon cou devint tout aussitôt brûlante ; les bras qui m’entouraient frémirent, et leur étreinte devint plus sensible.

— Ne lui parlez pas du « vingt-deux » murmura-t-elle à mon oreille. Promettez-moi, Marian, — promettez-moi,