Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/269

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dirigeai vers une vieille hutte de bois toute délabrée, qui s’élevait à la limite de la plantation d’épicéas et qui, jusqu’alors, n’avait pas attiré mon attention absorbée par la vaste et sauvage perspective qu’offrait le lac. En approchant de la hutte, je m’aperçus qu’elle avait jadis servi d’embarcadère, et qu’ensuite on avait essayé de la transformer en une sorte de tonnelle rudimentaire où on avait installé un banc, quelques tabourets et une table, le tout en bois de sapin mal dégrossi. J’entrai là-dedans pour m’asseoir un instant, me reposer et reprendre haleine.

Je n’y étais pas depuis plus d’une minute, lorsqu’il me sembla tout à coup que le bruit de ma respiration, un peu plus fort parce que j’étais essoufflée, avait quelque part, à mes côtés, un écho singulier. Je prêtai pendant un moment une oreille attentive, et j’entendis un souffle bas, pénible, saccadé, qui semblait monter à moi de dessous le siège même où j’étais assise. Je ne suis pas de ces femmes nerveuses qu’une bagatelle met en l’air ; mais, dans cette occasion, prise d’un effroi subit, je me trouvai tout à coup debout, — j’appelai, — je ne reçus pas de réponse, — je fis honte au courage qui me manquait, — et je regardai sous le banc…

Là, accroupie et roulée dans l’angle le plus éloigné, gisait, sous la forme d’un petit chien abandonné, — d’un épagneul tacheté de noir et de blanc, — l’innocente cause de ma terreur. Cet animal poussa un faible gémissement, lorsque, l’ayant bien regardé, je l’appelai à moi, mais il n’en bougea pas davantage. J’écartai le banc pour l’examiner de plus près. Les yeux de la pauvre petite bête prenaient rapidement cette apparence vitreuse qui annonce l’approche de la mort, et il y avait des taches de sang, le long de ses côtes, sur son poil blanc et soyeux. La misère d’une pauvre créature muette, faible, abandonnée, est sûrement un des plus tristes spectacles que notre monde puisse offrir. Aussi doucement qu’il me fut possible, je pris ce malheureux chien dans mes bras, et relevant autour de moi le devant de ma robe, je lui improvisai une sorte de hamac. Ce fut de cette façon que, lui épargnant de mon mieux la souffrance, et abré-