Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/278

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d’être heureuse, maintenant que je vous ai retrouvée, et j’ai tant besoin de vous voir heureuse à mes côtés… — Elle s’interrompit soudainement, et parcourut du regard mon petit boudoir, où nous étions installées. — Ah ! s’écria-t-elle, battant des mains avec un joyeux sourire, encore une vieille amie de retrouvée !… Votre bibliothèque, Marian, — votre chère petite bibliothèque en bois des Antilles, si vieillotte et de mine si pauvre ! — que je vous sais gré de l’avoir emportée de Limmeridge !… c’est comme ce grand parapluie d’homme, affreux et lourd, le compagnon de vos promenades intrépides !… Mais, par-dessus tout, c’est votre cher visage bohémien, cette figure brune, intelligente, dont les regards accoutumés me font tant de bien… Quand je suis ici, c’est comme si je me retrouvais chez nous !… Que pourrions-nous faire pour ajouter encore à cette douce illusion ? Je placerai le portrait de mon père dans votre chambre, au lieu de le laisser dans la mienne ; — je garderai, ici, tous mes petits trésors de Limmeridge ; — et, entre ces quatre murs amis, nous passerons ensemble, tous les jours, de bonnes heures. Oh ! Marian ! continua-t-elle, s’asseyant tout à coup à mes pieds, sur un tabouret, et levant sur moi des yeux expressifs, promettez que vous ne vous marierez jamais, que vous ne me quitterez point. Je suis égoïste de parler ainsi, mais il vous vaudra mieux rester fille, — à moins, pourtant, à moins que vous n’aimiez beaucoup votre mari. — L’aimer ?… Vous n’aimerez jamais personne que moi, n’est-il pas vrai ?… Elle s’arrêta de nouveau, s’empara de mes deux mains qu’elle étala sur mes genoux, et y cachant son visage : — Dites-moi, me demanda-t-elle d’une voix soudainement altérée, et parlant plus bas qu’elle ne l’avait fait jusqu’alors, avez-vous, ces temps-ci, reçu beaucoup de lettres ? en avez-vous écrit beaucoup ? — …

Je comprenais fort bien la portée de cette question ; mais je crus de mon devoir de ne pas l’encourager, en allant au-devant d’elle, à s’aventurer dans ce chemin périlleux.

— Avez-vous entendu parler de lui ? reprit-t-elle,