Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/339

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vis-à-vis de moi. C’était à Rome, un jour où nous étions sortis ensemble, à cheval, pour aller au tombeau de Cecilia Metella. Le ciel était calme et charmant ; — la grande mine antique se montrait sous ses plus beaux aspects ; — et la pensée qu’autrefois la tendresse d’un époux avait consacré ce monument à la mémoire d’une femme adorée, venant tout à coup m’attendrir, me fit éprouver pour mon mari un sentiment dont jusqu’alors je ne m’étais pas crue capable : — Percival, lui demandai-je, me bâtiriez-vous un tombeau comme celui-ci ? Vous m’avez bien des fois parlé de votre amour, avant notre mariage, et, depuis lors, cependant… — Je ne pus rien ajouter. Marian ! il ne me regardait même pas !… Je baissai mon voile, jugeant mieux de ne pas lui laisser voir mes yeux qui se remplissaient de larmes. Je croyais qu’il n’avait prêté aucune attention à mes paroles ; mais il les avait parfaitement entendues. — Partons ! me dit-il, riant en lui-même, tandis qu’il me replaçait sur mon cheval. Il remonta sur le sien, et le même rire sardonique crispait encore ses lèvres au moment où nous partîmes. — Si je vous bâtis une tombe, ce sera bel et bien de votre argent, reprit-il. Je me demande si Cecilia Metella était une héritière, et si sa dot a payé son sarcophage… — Je ne répondis point ;… et qu’aurai-je pu dire, pleurant derrière mon voile ? — Ah ! recommença-t-il, vous autres blondes, vous êtes toutes plus ou moins boudeuses. Que vous faut-il, voyons ?… des compliments, des flagorneries ? Eh bien ! je suis en bonne veine, ce matin. Veuillez regarder les compliments comme faits, et mettre vous-même en madrigaux tout ce que je pense de flatteur sur votre compte… — Les hommes quand ils vous disent de ces duretés, savent peu quels longs souvenirs elles nous laissent, et combien ces souvenirs nous font de mal. Il aurait mieux valu pour moi que j’eusse continué à pleurer ; mais son mépris sécha mes larmes et endurcit mon cœur. À partir de ce moment, Marian, je ne me suis jamais reproché de penser à Walter Hartright. J’ai laissé renaître en moi, pour me consoler et m’affermir, la mémoire de ces journées heureuses où nous nous sommes tant aimés