Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/36

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tant d’avant, il me semblait n’y avoir vu personne…

Se détournant, elle me montra, au point de jonction des deux chemins de Londres et de Hampstead, un endroit où la haie était rompue.

— Je vous ai entendu venir, me dit-elle, et je me suis cachée là pour savoir à quel homme j’avais affaire avant de me risquer à parler. Mes doutes et mes craintes duraient encore quand vous êtes passé, ce qui m’a réduite à me glisser sur vos traces et à vous toucher le bras…

Se glisser après moi et me toucher… Pourquoi ne m’appeler point ? Chose étrange, à tout le moins.

— Puis-je me fier à vous ? demanda-t-elle. Vous ne me jugerez point mal, parce qu’un accident m’est arrivé…

Confuse, elle s’arrêta ; d’une main, son sac passait dans l’autre ; elle poussait des soupirs pleins d’amertume.

L’isolement de cette femme, dénuée de tout appui, m’alla au cœur. L’élan naturel qui me poussait à la secourir, à la protéger, l’emporta bientôt sur les froids conseils de la prudence mondaine que, dans de si étranges circonstances, un homme plus âgé, plus sage, plus réfléchi aurait uniquement consultée.

— Pour tout dessein légitime, lui dis-je, vous pouvez vous fier à moi. S’il vous est pénible de m’expliquer votre singulière situation, ne revenons plus sur ce sujet. Je n’ai le droit de vous demander aucun éclaircissement. Dites-moi comment je puis vous aider ; ce qui dépendra de moi, je le ferai.

— Vous êtes bien bon, et je suis bien heureuse de vous avoir rencontré…

En prononçant ces paroles, sa voix tremblait légèrement, et j’y retrouvai, pour la première fois, quelques nuances de ces accents féminins qui trouvent si aisément un écho dans tous les cœurs, mais il n’y avait pas une larme dans ces grands yeux, fixement attentifs, qu’elle tenait arrêtés sur moi.

— C’est la seconde fois seulement que je viens à Londres, continua-t-elle, parlant de plus en plus vite, et ce côté de la ville m’est tout à fait inconnu. Puis-je me procurer un cabriolet, une voiture, n’importe laquelle ? Est-il trop tard ? Je ne sais. Si vous pouviez me conduire jus-