Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/365

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tout à coup venu à l’esprit que nous nous ressemblions l’une à l’autre. Son visage était pâle, amaigri, fatigué, — mais la vue de ce visage me causait une sorte de tressaillement : c’était comme si je me fusse regardée au miroir en relevant d’une longue maladie. Cette découverte, — je ne sais pourquoi, — me donna une telle secousse, que pendant un moment il me devint impossible de lui parler.

— Parut-elle blessée de votre silence ?

— Je crains bien qu’elle ne l’ait été quelque peu : — Vous n’avez, me dit-elle, ni le visage ni le cœur de votre mère. Le visage de votre mère était d’une couleur sombre ; mais son cœur, miss Fairlie, était le cœur d’un ange. — Croyez, répondis-je, que je suis très-favorablement disposée pour vous, quoique hors d’état, en ce moment-ci, de vous exprimer ce que je sens. Mais pourquoi m’appelez-vous miss Fairlie ?… — Parce que j’aime le nom de Fairlie, tandis que j’abhorre le nom de Glyde, s’écria-t-elle avec une violence subite. Jusqu’alors je n’avais rien vu en elle qui donnât l’idée de la folie ; mais, à l’expression de ses yeux, il me sembla qu’elle était en ce moment sous le coup de quelque accès. — Je me figurais, lui dis-je, — me rappelant l’étrange lettre qu’elle m’avait écrite à Limmeridge, et tâchant de l’apaiser, — je me figurais que vous ignoriez peut-être mon mariage… Avec un amer soupir et se détournant de moi : — Ignorer votre mariage ? répéta-t-elle. Je suis ici parce que vous êtes mariée. Je suis ici pour vous servir de victime expiatoire, avant de me retrouver avec votre mère dans les régions au-delà du tombeau… Tout en parlant ainsi, elle reculait et reculait encore, s’écartant de moi, jusqu’à ce qu’elle se trouvât à l’extérieur de la hutte, et là promenant ses regards de tous côtés, elle semblait écouter avec attention. Lorsque après un instant de silence, elle voulut de nouveau m’adresser la parole, au lieu de revenir près de moi, elle demeura sur le seuil de la porte, s’appuyant des mains aux deux montants : — Hier au soir, dit-elle, me vîtes-vous près du lac ? m’entendîtes-vous quand je vous suivais dans le bois ?