Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/402

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mon mépris pour la trompeuse humeur des autres femmes, je fus aussi fausse que la pire d’entre elles, aussi fausse que le Judas dont les lèvres venaient de toucher ma main.

Je n’aurais pas pu conserver ce sang-froid dégradant, — et la certitude que j’en ai me relève seule à mes propres yeux, — s’il avait persisté plus longtemps à tenir ses yeux attachés sur mon visage. La fauve jalousie de sa femme vint à mon secours au moment où il s’emparait de ma main, et détourna forcément l’attention de ce redoutable scrutateur. Les yeux bleus de madame Fosco, ses yeux si froids, s’illuminèrent de clartés nouvelles ; ses joues, d’un blanc terne, se teignirent de vives couleurs : en une seconde, elle rajeunit de plusieurs années.

— Comte, dit-elle, vos formes de politesse étrangère ne sont point appréciées par les Anglaises.

— Pardon, mon ange ! la meilleure Anglaise, et la plus aimée qui soit au monde, sait parfaitement les apprécier… À ces mots, il laissa retomber ma main, et, au lieu d’elle, il porta tranquillement à ses lèvres celle de sa femme.

Je remontai précipitamment pour me réfugier chez moi. Si j’avais eu le temps de la réflexion, mes pensées, quand je me retrouvai seule, m’auraient amèrement fait souffrir. Mais ce n’était pas l’heure de m’abandonner à de vaines rêveries. Fort heureusement pour le calme et le courage qu’il me fallait conserver, c’était l’heure d’agir, d’agir sans repos ni trêve.

Mes lettres à l’avocat et à M. Fairlie n’étaient pas encore écrites, et sans hésiter un moment, je m’occupai de leur rédaction.

Je n’avais pas l’embarras du choix entre mille ressources ; — et du moins pour le début de la lutte, je ne pouvais compter que sur moi-même. Sir Percival n’avait, dans le voisinage, ni parent ni amis dont je pusse tenter de réclamer l’intercession. Il était dans les termes les plus froids, — et, pour quelques-unes, dans les plus mauvais termes, — avec les familles de son rang qui résidaient près de lui. Quant à nous, pauvres femmes, nous n’avions