Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/46

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manquer le train que je devais prendre, sans aucune perte de temps, à l’embranchement désigné. Il fallut attendre quelques heures, et lorsque, plus tard, un autre train me descendit à la station d’où on se rendait à Limmeridge-House, il était plus de dix heures. La nuit d’ailleurs était si épaisse, que c’est tout au plus si je sus démêler mon chemin jusqu’à la « pony-chaise » que M. Fairlie avait envoyée au-devant de moi.

Le cocher était évidemment décontenancé par mon arrivée si tardive. Je le trouvai en cet état de respectueuse bouderie, tout particulier aux domestiques de race anglaise. Nous cheminions dans un silence absolu, et fort lentement, à travers les ténèbres. Les chemins étaient mauvais, et l’obscurité de la nuit ajoutait à la difficulté d’y marcher un peu vite. À partir du moment où nous avions quitté la station, il s’était, d’après ma montre, écoulé à peu près une heure et demie, lorsque j’entendis dans l’éloignement bruire les flots de la mer, et, sous nos pas, craquer le sable des allées d’un parc. Nous venions alors de franchir une porte : nous passâmes encore sous une autre avant d’arriver devant la maison. Je fus accueilli par un solennel serviteur sans livrée, qui m’apprit que « la famille » était allée se coucher. Il me conduisit dans une haute et vaste pièce, où mon souper m’attendait, tristement servi à l’extrémité d’une immense table d’acajou, dont l’absence de tout convive faisait, en quelque sorte, un désert.

J’étais trop las et trop abattu pour boire ou manger beaucoup, surtout devant un grand diable de valet imposant qui me servait, moi tout seul, avec toute l’activité requise pour une demi-douzaine de dîneurs. Au bout d’un quart d’heure, j’étais en mesure de m’aller mettre au lit. Le solennel serviteur me conduisit dans une pièce meublée avec recherche.

— Monsieur, me dit-il, le déjeuner est pour neuf heures… Puis il s’assura que tout était en ordre, et disparut sans le moindre bruit.

Que vais-je voir, cette nuit, dans mes rêves ? pensais-je en soufflant ma bougie. La Femme en blanc ?… ou les