Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/626

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là-dessus ses imaginations, ses fantaisies, et de temps en temps elle réclamait ses droits sur l’enfant, comme pour me punir d’avoir voulu l’élever. Mais ces accès ne duraient jamais longtemps. La pauvre petite Anne me revenait invariablement, et toujours avec joie, — bien qu’elle n’eût chez moi qu’une vie assez terne, manquant de compagnons de jeu pour l’égayer, comme en ont les autres enfants. Notre plus longue séparation fut à l’époque où sa mère la conduisit à Limmeridge. Justement alors je perdis mon mari, et dans le chagrin où j’étais, je sentais qu’il était préférable de ne point garder Anne auprès de moi. Elle avait alors entre dix à onze ans ; apprenant mal ses leçons, la pauvre Anne, et bien moins gaie que d’autres enfants, — mais aussi jolie petite fille qu’on en pût voir. J’attendis chez moi que sa mère l’eût ramenée ; et je lui offris alors, partant pour Londres, de prendre l’enfant avec moi ; — le fait est, monsieur, que je n’avais plus le courage d’habiter le Vieux-Welmingham après la mort de mon mari, tant cet endroit était changé à mes yeux et me semblait triste.

— Mistress Catherick accepta-t-elle votre proposition ?

— Non, monsieur. Elle revenait du Nord plus dure, plus nourrie de fiel que jamais. Il se disait qu’elle avait été contrainte de demander à sir Percival une permission de voyage, premier ennui pour une personne comme elle ; puis elle était allée, à Limmeridge, assister sa sœur mourante, lorsque le bruit avait couru que cette pauvre femme possédait quelques économies ; et, au fait, elle laissait à peine de quoi l’enterrer. Ces choses avaient dû, fort probablement, aigrir mistress Catherick ; mais, quoi qu’il en fût, elle ne voulut pas entendre parler de me laisser emmener l’enfant. On eût dit qu’elle prenait plaisir à nous chagriner toutes deux en nous séparant. Je ne pus donc que donner mon adresse à la petite Annette, et lui dire en secret que, si jamais elle était dans l’embarras, elle n’avait qu’à venir me trouver. Mais des années s’écoulèrent avant qu’elle eût la liberté d’agir ainsi. Je ne la revis plus, la pauvre chère Anne, que la nuit où elle s’échappa de la maison de fous.