Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/720

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nous entretenir sans réserve, j’essayai de lui exprimer, dans une mesure quelconque, la reconnaissance et l’admiration dont mon cœur était plein ; mais cette généreuse créature ne voulut seulement pas m’écouter. L’abnégation sublime de la femme, qui demande si peu en échange de si grands sacrifices, détournait toutes ses pensées d’elle-même, et les reportait sur moi.

— Je n’ai eu, me dit-elle, qu’une minute libre avant l’heure de la poste ; sans cela, je vous aurais écrit avec moins de hâte. Vous semblez fatigué, accablé, Walter. Je crains que ma lettre ne vous ait causé des craintes sérieuses.

— Au premier abord seulement, lui répondis-je. Ma confiance en vous, Marian, m’a bientôt rendu le repos. N’ai-je pas deviné juste, en attribuant ce brusque changement de résidence à quelques persécutions dont vous aura menacé le comte Fosco ?

— Parfaitement juste, me dit-elle. Je l’ai vu hier, et ce qui est encore pire. Walter, je lui ai parlé : …

— Parlé ? Savait-il donc où nous habitions ? Serait-il venu chez nous ?

— Vous l’avez dit : en ce sens, du moins, qu’il est venu à notre porte ; mais il n’est pas monté. Laura ne l’a point vu, Laura ne soupçonne rien. Je vous conterai comment tout cela est arrivé ; quant au péril, je crois et j’espère qu’il n’existe plus. J’étais, hier, dans le salon de notre ancien logement. Laura dessinait devant sa table, et moi je rangeais de côté et d’autre. Je vins à passer devant la fenêtre, et je jetai les yeux, en passant, du côté de la rue. Là, sur le trottoir opposé, je vis le comte avec un homme qui lui parlait…

— Vous avait-il vue à la fenêtre ?

— Non… ou du moins je ne le crus pas. J’étais, du reste, trop violemment émue pour avoir aucune certitude à cet égard.

— Qui était l’autre individu ? un étranger.

— Non, Walter ; ce n’était point un étranger. Dès que je pus me ravoir un peu, je le reconnus. C’était le propriétaire-directeur de l’Asile que vous savez.