Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/736

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languissait presque toujours. Au moindre contact accidentel je sentais mon cœur battre plus vite, comme il battait jadis à Limmeridge, et ses joues lui répondaient d’une manière charmante, comme si nous étions encore dans les montagnes du Cumberland, heureux maître et docile élève. Elle avait de longs intervalles pensifs, et si Marian la questionnait à ce sujet, elle niait les rêves où nous l’avions vue s’absorber. Je me surpris, un jour, négligeant mon travail pour contempler, tout songeur, le petit portrait à l’aquarelle que j’avais fait d’elle, dans le kiosque où nous nous étions rencontrés pour la première fois ; — c’était justement ainsi que je négligeais jadis les dessins de M. Fairlie, pour contempler cette même image, alors tout récemment sortie de mes pinceaux. Si changées que fussent toutes les circonstances, on eût dit que notre amour ressuscité faisait revivre avec lui notre position réciproque, telle qu’elle était aux jours dorés de notre première rencontre. C’était comme si le temps nous avait ramenés, sur quelque épave de nos espérances naufragées, à la rive enchantée dont le souvenir ne s’était jamais perdu !

À toute autre femme j’aurais adressé des paroles décisives, que j’hésitais encore à prononcer devant elle. Sa position tout à fait sans ressources, la dépendance dans laquelle la plaçait l’abandon de ses amis et qui lui rendait tout à fait indispensable la protection dont je l’entourais avec tant de bonheur ; ma crainte de heurter trop tôt quelques secrètes susceptibilités que mes instincts d’homme n’auraient pas été assez subtils pour découvrir en elle ; ces considérations et d’autres semblables me faisaient me méfier de moi-même, et je me taisais. Pourtant, je savais qu’il faudrait, un jour ou l’autre, mettre un terme à cette gêne mutuelle ; que nos relations, vis-à-vis l’un de l’autre, devraient être modifiées pour l’avenir et d’une manière stable ; enfin que c’était à moi de reconnaître le premier la nécessité d’un tel changement.

Plus je pensais à notre position, plus il me semblait difficile de rien tenter qui pût l’altérer, aussi longtemps