Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/773

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évidentes de la commotion qu’il avait subie à l’Opéra. Ses joues chargées d’embonpoint, semblaient avoir perdu de leur ferme consistance ; ses yeux, d’un gris froid, indiquaient, par leur mobilité, une vigilance furtive. Sa voix, sa physionomie, ses façons trahissaient à l’envi la même soupçonneuse méfiance, tandis qu’il avançait d’un pas au-devant de moi, et m’invitait, avec une courtoisie glaciale, à prendre un fauteuil.

— Vous venez ici pour affaire, monsieur ? me dit-il. Je suis vraiment embarrassé pour deviner de quelle affaire il peut être question entre nous…

La curiosité qui se révélait très-ouvertement dans les regards que, tout en parlant, il tenait obstinément fixés sur mon visage, me donna l’assurance que, naguère, à l’Opéra, j’avais complètement échappé à son attention.

Pesca s’était d’abord offert à ses yeux ; et de ce moment à celui où il avait quitté la salle, il n’avait pas vu autre chose. Mon nom avait dû nécessairement lui suggérer que je venais le trouver dans des vues hostiles ; — mais, jusque-là, il semblait ignorer de la manière la plus absolue quelle était au juste la nature de ma mission.

— Je suis fort heureux de vous rencontrer ici, ce soir, lui dis-je. Vous paraissez vous disposer à quelque voyage.

— Est-ce que votre affaire et mon voyage ont quelque rapport l’un avec l’autre ?

— Cela pourrait être, à certains égards.

— Et à quels égards, s’il vous plaît ? Sauriez-vous où je dois me rendre ?

— Non. Je sais seulement pourquoi vous quittez Londres…

Avec la rapidité de la pensée, il se glissa derrière moi, ferma la porte de la chambre, et mit la clef dans sa poche.

— Vous et moi, monsieur Hartright, me dit-il, nous nous connaissons à merveille de réputation. N’auriez-vous pas réfléchi, par hasard, en me venant trouver dans cette maison, que je ne suis pas précisément un homme à traiter par-dessous la jambe.