Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/793

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mettait aucun délai. Je ne la connaissais point ; on me l’avait simplement décrite comme ressemblant extraordinairement à lady Glyde. La constatation de ce fait curieux, — destinée d’abord tout simplement à me mettre à même de reconnaître la personne sur les traces de laquelle nous étions, — lorsque je la combinai avec cet autre renseignement qu’Anne Catherick s’était naguère évadée d’un hôpital de fous, fit éclore dans ma pensée cette première conception, véritablement énorme, qui devait conduire ensuite à de si étonnants résultats. Cette conception n’impliquait rien moins que la transformation complète et réciproque de deux identités distinctes. Lady Glyde et Anne Catherick devaient changer l’une avec l’autre, et de nom, et de séjour, et de destinée ; ce changement ayant pour conséquence merveilleuse un bénéfice de trente mille livres, et l’éternelle conservation du secret de sir Percival.

Mes instincts (qui me trompent rarement) me firent prévoir, toutes circonstances passées en revue, que notre invisible Annette reviendrait tôt ou tard à l’embarcadère de Blackwater. Ce fut là que je me postai, non sans avoir, au préalable, averti mistress Michelson, la femme de charge, qu’on me trouverait au besoin plongé dans l’étude au fond de ce retrait solitaire. J’ai pour règle de ne jamais faire de mystères inutiles, de ne jamais exciter le soupçon faute d’un peu de franchise intelligente, dont je fais volontiers montre quand elle ne saurait nuire. Mistress Michelson n’a jamais cessé un instant de croire en moi. Cette personne tout à fait comme il faut (la veuve d’un ecclésiastique protestant,) débordait littéralement de foi religieuse. Touché par cette surabondance de simplicité chez une femme parvenue à l’âge mûr, j’ouvris les amples réservoirs dont la nature m’a pourvu, et absorbai, tout entière, cette superfluité incommode.

Je fus récompensé d’avoir fait sentinelle au bord du lac, lorsque je vis apparaître, non pas Anne Catherick elle-même, mais la personne chargée d’elle. Celle-là aussi débordait de candeur, et, comme ci-dessus, je la débarrassai de ce qu’elle avait de trop. Je lui laisse le soin de raconter (si elle ne l’a déjà fait) en quelles circonstances