Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec la pitié d’un ange, tantôt avec l’innocente perplexité d’un enfant. Mais ce changement voulait dire encore autre chose. Dans la froideur de la main qu’elle me tendait, dans l’immobilité de ses traits, si contraire à sa nature, dans chacun de ses gestes, enfin, se retrouvait l’expression d’une crainte continuelle et d’un mécontentement intérieur qu’elle ne pouvait apaiser. Ce n’étaient pas là des sentiments que je pusse reconnaître comme relatifs à « elle « et à « moi » ; ce n’étaient pas là ces sentiments inavoués que nous avions maintenant en commun. Dans le changement qu’elle venait de subir, et que je m’étudiais à décomposer, certains éléments nous attiraient secrètement l’un vers l’autre ; il en était, au contraire, qui, tout aussi secrètement, commençaient à nous désunir.

Perdu en mille doutes, en mille perplexités, et soupçonnant vaguement quelque mystère qu’on me laissait à découvrir sans vouloir m’y aider, j’examinai de plus près, pour m’éclairer là-dessus, la physionomie et l’attitude de miss Halcombe. Dans une intimité comme la nôtre, aucune altération sérieuse ne pouvait se produire chez l’un de nous qui ne se reflétât sympathiquement sur les autres membres de la petite communauté. Le changement de miss Fairlie avait un équivalent dans celui de sa demi-sœur. Bien que miss Halcombe ne laissât pas échapper la moindre allusion qui me révélât une modification quelconque dans les sentiments affectueux dont elle m’honorait, son regard pénétrant me poursuivait avec une assiduité de fraîche date. Quelquefois, ce regard exprimait une colère contenue ; quelquefois, une crainte dissimulée ; quelquefois, rien qui ressemblât à l’une ou l’autre ; — rien en somme, dont je pusse me rendre compte. Une semaine s’écoula, nous laissant tous trois dans une position de gêne secrète les uns vis-à-vis des autres. Ma position, aggravée par la conscience que j’avais, trop tard, de m’être oublié, d’avoir été misérablement faible, me devenait intolérable. Je sentais l’impérieuse nécessité de secouer cette espèce d’oppression sous laquelle je vivais, — mais comment agir pour le