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Ainsi, par-tout l’autorité des hommes étoit substituée à celle de la raison. On étudioit les livres beaucoup plus que la nature, et les opinions des anciens plutôt que les phénomènes de l’univers. Cet esclavage de l’esprit, dans lequel même on n’avoit pas encore la ressource d’une critique éclairée, fut alors plus nuisible aux progrès de l’espèce humaine, en corrompant la méthode d’étudier, que par ses effets immédiats. On étoit si loin d’avoir atteint les anciens, qu’il n’étoit pas temps encore de chercher à les corriger ou à les surpasser.

Les mœurs conservèrent, durant cette époque, leur corruption et leur férocité ; l’intolérance religieuse fut même plus active ; et les discordes civiles, les guerres perpétuelles d’une foule de petits princes remplacèrent les invasions des barbares, et le fléau plus funeste des guerres privées. À la vérité, la galanterie des menestrels et des troubadours, l’institution d’une chevalerie, professant la générosité et la franchise, se dévouant au maintien de la religion et à la défense des opprimés, comme au service des dames, sembloient devoir donner aux mœurs