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subtilité donnoit cependant de la finesse aux esprits, en même temps qu’elle épuisoit leur force contre de chimériques difficultés. Ainsi cette philosophie de mots, en remplissant des espaces où la raison humaine semble s’arrêter devant quelque obstacle supérieur à ses forces, ne sert point immédiatement à ses progrès ; mais elle les prépare : et nous aurons encore occasion de répéter cette même observation.

C’étoit en s’attachant à des questions peut-être à jamais inaccessibles, en se laissant séduire par l’importance ou la grandeur des objets, sans songer si l’on auroit les moyens d’y atteindre ; c’étoit en voulant établir les théories avant d’avoir rassemblé les faits, et construire l’univers quand on ne savoit pas même encore l’observer ; c’étoit cette erreur alors bien excusable, qui, dès les premiers pas, avoit arrêté la marche de la philosophie. Aussi Socrate, en combattant les sophistes, en couvrant de ridicule leurs vaines subtilités, crioit-il aux Grecs de rappeler enfin sur la terre cette philosophie qui se perdoit dans le ciel : non qu’il dédaignât ni l’astronomie, ni la géométrie,