Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/142

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ter le visage par les averses. Wilmot le releva à minuit.

La Famille Apse avait, comme on vous l’a dit, une construction sur sa dunette…

— Une vilaine machine blanche qui se dressait vers le ciel, soupira tristement Jermyn.

— C’est bien cela : un capot pour les escaliers des cabines et une sorte de kiosque de veille combinés. Les rafales de pluie fouettaient mon Wilmot engourdi de sommeil. Serré au plus près, le navire se dirigeait lentement vers le sud, avec la côte à quelque trois milles sous le vent. Il n’y avait rien à craindre dans cette partie du golfe, et Wilmot alla se placer à l’abri des bourrasques, derrière le kiosque de veille, dont la porte était ouverte de ce côté. La nuit était noire comme un tonneau de goudron. Tout à coup, il entendit une voix de femme qui lui parlait dans l’oreille.

Cette maudite gouvernante aux yeux verts avait depuis longtemps couché les gosses Pamphilius, et ne pouvait pas dormir, probablement. Elle avait entendu sonner minuit, et le second était descendu dans sa cabine. Elle attendit un instant, enfila sa robe de chambre, se glissa à travers le salon vide et monta l’escalier du kiosque de veille. Elle s’assit sur le divan, près de la porte ouverte, pour se rafraîchir sans doute.

Son murmure dut faire, sur Wilmot, l’effet d’une allumette enflammée dans son cerveau. Je ne sais pas comment ces deux-là étaient arrivés à être si bien ensemble. Je crois qu’il l’avait déjà rencontrée quelquefois à terre. Je n’ai jamais pu tirer l’affaire au clair, parce qu’en racontant l’histoire, Wilmot ne disait pas deux mots sans lancer un affreux juron. Je l’ai aperçu un jour sur un quai de Sydney ; il avait un tablier de toile jusqu’au menton et un grand fouet à la main. Il était devenu toucheur de bœufs, trop content encore de trouver quelque chose pour ne pas crever de faim. Voilà où il en était arrivé !