Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/279

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l’hôtelier était cordial dans sa déférence, et il y répondait avec une courtoisie familière. Les domestiques l’appelaient Il Conte. Il y eut un jour des discussions autour d’un parasol, — instrument de soie jaune doublé de blanc, — que les garçons avaient trouvé à la porte de la salle à manger. Le portier chamarré d’or le reconnut, et je l’entendis ordonner à l’un des grooms de l’ascenseur de courir le porter au Conte. Peut-être était-il le seul comte résidant à l’hôtel, ou peut-être sa fidélité à la maison lui valait-elle la distinction d’être le comte par excellence.

Après notre entretien de la galerie des Maîtres, — dont, entre parenthèses, il m’avait dit n’aimer guère les bustes et les statues d’empereurs romains, aux traits trop vigoureux et trop prononcés pour son goût, — après notre causerie de la matinée, je ne crus pas indiscret, le soir, devant la salle à manger très pleine, de lui demander à partager sa petite table. À juger de la douce urbanité de son assentiment, il ne tint pas non plus ma présence pour importune. Son sourire était très attrayant.

Il dînait en smoking, gilet de soirée, et cravate noire. Le tout de coupe parfaite et pas trop neuf, comme il convient aux vêtements de ce genre. Matin ou soir, il était toujours très correct dans sa mise. Je suis certain que toute son existence était correcte, ordonnée et conventionnelle, et que nul événement frappant n’en avait troublé le cours. Ses cheveux blancs, rejetés en arrière d’un front élevé, lui donnaient un air d’idéaliste, d’imaginatif. Sa lourde moustache blanche, soigneusement taillée et brossée, prenait, en son centre, une teinte jaune d’or qui n’était pas déplaisante. Des bouffées subtiles d’un parfum excellent et de bons cigares (odeur bien remarquable, en Italie) me parvenaient par dessus la table. Ce sont ses yeux qui accusaient le plus son âge. Ils étaient un peu las, sous les paupières fanées.