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du travail telle que chaque homme, le plus riche comme le plus pauvre, puisse user de cette liberté si chèrement acquise, en servant la société suivant la mesure de ses forces. Or, il n’existe encore aucune institution ayant pour but d’appliquer les facultés diverses de chaque individu aux fonctions qui leur sont propres. L’éducation, pour le petit nombre de ceux qui la reçoivent, n’est point dirigée vers le développement des vocations. Notre société est si mal ordonnée, en ce qui concerne l’emploi des forces individuelles, qu’elle laisse à chaque instant des millions de bras et d’esprits sans travail, lorsqu’elle aurait tout à gagner en les occupant convenablement.

C’est que la base même de notre organisation actuelle de l’industrie est trop restreinte pour se prêter à cette hiérarchie, à cette classification complète des fonctions industrielles qui doit naturellement précéder leur exécution régulière. Dans le plus petit atelier, il se passe toujours, au moment de la formation, un temps plus ou moins considérable pendant lequel la division du travail, n’étant pas établie suivant l’ordre naturel, entraîne une perte de forces qui diminue à mesure que l’on parvient à mieux subdiviser les fonctions et à répartir plus convenablement entre elles les travailleurs chargés de les remplir. Tous ceux qui ont été appelés à organiser un atelier industriel ont dû faire cette observation. Nos sociétés modernes sont de grands ateliers qui n’ont point traversé l’époque difficile de leur formation.

Les nations cherchent encore le travail spécial déterminé par leur climat, leur sol et leur caractère particulier. En attendant, chacune d’elles se trouve obligée de créer nombre de produits que, dans son intérêt bien entendu, elle devrait recevoir des autres en échange des objets appartenant à son industrie naturelle. De jour en jour pourtant, par l’effet de la supériorité à laquelle s’élève un peuple lorsqu’il se livre à ses spécialités, et malgré les barrières qui s’opposent à la circulation, les industries factices sont frappées de mort, et il ne faut pas être un grand observateur pour reconnaître que les nations tendent déjà et arriveront tôt ou tard à une division du travail basée sur leurs aptitudes naturelles. Des faits semblables se produisent entre les provinces d’une nation, entre les communes d’une province, entre les habitants d’une commune. Oui, ce qui se passe en petit dans l’organisation d’un atelier industriel s’accomplit en grand et avec des détails infinis dans le sein de l’humanité.

L’intelligence humaine ne s’est point encore exercée à la pensée de ce sublime arrangement, de cette coordination parfaite des fonctions ; l’ordre se réalise lentement par la force des choses. Mais que l’homme aperçoive clairement