Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/19

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c’était un marchand fort riche, d’un esprit subtil dans les affaires, et non marié, c’est tout ce qui est nécessaire pour le moment.

Malgré l’heure peu avancée à laquelle le commerçant industrieux quitta sa demeure, sa démarche le long des rues étroites de sa ville natale était digne et mesurée. Plus d’une fois il s’arrêta pour parler à quelques domestiques de confiance et favoris, et il terminait invariablement ses questions sur la santé du maître, par quelque observation plaisante adaptée aux habitudes et à la capacité de l’esclave. Il semblerait par là que, bien qu’il eût des notions exagérées de la discipline domestique, le digne bourgeois était loin de trouver du plaisir dans les menaces que nous l’avons entendu prononcer.

Il venait de quitter un de ces nègres paresseux, lorsque, en tournant un angle, pour la première fois de la matinée un homme de sa propre couleur se montra subitement à ses yeux. Le citoyen surpris fit un mouvement involontaire pour éviter cette entrevue à laquelle il ne s’attendait pas ; mais, s’apercevant de la difficulté d’agir ainsi, il se soumit de bonne grâce comme s’il eût cherché lui-même cette rencontre.

— Le lever du soleil… le canon du matin… et M. l’alderman van Beverout ! s’écria le nouveau venu. Tel est l’ordre des événements, à cette heure peu avancée, dans toutes les révolutions successives de notre pays.

Le visage de l’alderman eut à peine le temps de recouvrer son calme habituel jusqu’au moment où il fut forcé de répondre à ce salut sans façon et ironique. Il se découvrit, salua d’une manière cérémonieuse, et sa réponse ôta au nouvel arrivant toute raison de se féliciter de sa plaisanterie.

— La colonie a raison de regretter les services d’un gouverneur qui quitte son lit de si bonne heure, dit le bourgeois. Il n’est pas étonnant que nous autres, habitués aux affaires, nous nous levions avec le jour, nous avons raison de le faire ; mais il y a des gens dans la ville qui en croiraient à peine leurs yeux s’ils jouissaient du bonheur qui m’était réservé ce matin.

— Monsieur, il y a bien des gens dans cette colonie, qui ont souvent raison de ne pas se fier à leurs sens, bien qu’aucun d’eux ne puisse être trompé en pensant que l’alderman van Beverout est un homme dignement occupé. Celui qui vend les produits du castor doit avoir la persévérance et la prévision de cet animal.