Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/54

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dit la belle Alida, en jetant en vain les yeux dans la direction de la baie qu’elle venait de quitter, j’oserai à peine hasarder une opinion sur un sujet pour lequel je suis obligée de confesser la plus profonde ignorance.

— Les femmes ne sont que vanité ! Voir et être vues, voilà le bonheur de leur sexe. Nous sommes mille fois plus à notre aise dans ce bois que si nous marchions au bord de la mer ; mais les mouettes et les bécassines perdront le plaisir de notre compagnie. Un homme sage doit éviter l’eau salée et tout ce qui vit dessus, excepté ce qui sert à diminuer le fret des marchandises et à rendre le commerce plus prompt. Vous me remercierez de ce soin, ma nièce, lorsque vous arriverez à Lust-in-Rust en aussi bon état qu’un paquet de fourrures que les teignes n’ont point attaqué, et fraîche comme une tulipe de Hollande couverte de rosée.

— Pour ressembler à cette dernière, on pourrait consentir à marcher les yeux bandés, mon cher oncle ; ainsi laissons là ce sujet. François, ajouta Alida en français, fais-moi le plaisir de porter ce petit livre ; malgré la fraîcheur du bois, j’ai besoin de m’éventer.

Le valet prit le livre avec un empressement qui prévint la politesse plus tardive du patron ; et lorsqu’il vit par les regards contrariés et les joues animées de sa jeune maîtresse qu’elle était plutôt tourmentée par ses sentiments intérieurs que par la chaleur, il lui dit à voix basse :

— Mademoiselle Alida ne manquerait pas d’admirateurs, même dans un désert ; mais si mademoiselle visitait un jour la patrie de ses ancêtres !…

— Merci, merci, mon cher François ; tenez le livre bien fermé, il y a des papiers dedans.

— Monsieur François, dit l’alderman en séparant, sans cérémonie sa nièce d’un domestique qu’elle regardait presque comme un membre de sa famille, par l’interposition de son énorme personne, et faisant signe aux autres voyageurs de continuer leur chemin ; je veux vous dire un mot en particulier. Je me suis aperçu dans le cours d’une vie active et utile, je l’espère, qu’un fidèle domestique est un honnête conseiller. Après l’Angleterre et la Hollande, deux grandes nations commerciales ; et les Indes qui sont nécessaires à ces colonies, en avouant une préférence bien naturelle pour le pays où je suis né, j’ai toujours pensé que