Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/25

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Le noble parut prêter plus d’attention à un entretien qu’il avait d’abord commencé avec ce ton léger qu’un supérieur emploie souvent pour encourager un serviteur favori.

La bella Sorrentina ! N’ai-je pas des motifs de connaître cette barque ?

— Rien n’est plus vrai, Signore. Son patron a des parents à Sainte-Agathe, comme je viens de le dire à Votre Excellence, et son vaisseau fut amarré sur le rivage, près du château, pendant plus d’un hiver rigoureux.

— Qui l’amène à Venise ?

— Je donnerais ma meilleure jaquette aux couleurs de Votre Excellence pour le savoir. Je m’inquiète aussi peu que personne des affaires d’autrui, et je sais que la discrétion est la principale vertu d’un gondolier. Cependant j’ai essayé de connaître ce qui l’amenait, autant qu’un ancien voisin pouvait le faire ; mais il fut aussi prudent dans ses réponses que s’il avait pris à fret les confessions de cinquante chrétiens. Si Votre Excellence me permet de le questionner en votre nom, il aura le diable au corps si le respect pour son seigneur et mon adresse n’en firent autre chose qu’un faux connaissement.

— Tu choisiras parmi mes gondoles pour la regatta, Gino, répondit le duc de Sainte-Agathe ; puis entrant dans le pavillon, il se jeta sur la pile élégante de coussins de peau noire, sans faire aucune réponse à la suggestion de son domestique.

La gondole continua sa course silencieuse avec le mouvement fantastique particulier à cette espèce de barques. Gino, qui, en sa qualité de supérieur à l’égard de son camarade, se tenait sur le petit pont arqué de la poupe, agitait son aviron avec sa promptitude et son adresse habituelles, variant de direction, tantôt à droite, tantôt à gauche, parmi la multitude de bâtiments de toutes les dimensions et de tous les usages qu’il rencontrait sur son chemin. Les palais succédaient aux palais, et la plupart des principaux canaux qui conduisaient aux différents spectacles et autres lieux d’amusement fréquentés par son maître étaient dépassés aussi, sans que don Camillo indiquât une nouvelle direction ; enfin la gondole parvint en face d’un bâtiment qui parut exciter plus que l’attente ordinaire. Giorgio ne conduisit plus son aviron que d’une main, regardant Gino par-dessus son épaule, et Gino laissa sa rame traîner à la surface de l’eau. Tous les deux semblaient