Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/34

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— Que sainte Anne me bénisse ! est-ce toi, Gino Monaldi ? s’écria une jolie grisette vénitienne, dont la voix et les manières trahirent autant de coquetterie que de surprise. À pied, par la porte secrète ! est-ce là l’heure à laquelle tu viens ordinairement ici ?

— Il est vrai, Annina, que ce n’est point le temps de parler d’affaires à ton père, et qu’il est un peu trop tôt pour venir te voir toi-même ; mais j’ai moins de temps pour parler que pour agir. Pour l’amour de saint Théodore et celui d’un constant et sot jeune homme qui, s’il n’est pas ton esclave, est au moins ton chien, apporte-moi la jaquette que je portais lorsque nous allâmes ensemble voir la fête de Fusina.

— Je ne sais quel est ton message, Gino, ni la raison pour laquelle tu désires quitter la livrée de ton maître pour l’habit d’un commun batelier : tu es bien mieux avec cette soie à fleurs qu’avec ce velours fané ; et si j’ai jamais fait l’éloge de ce dernier vêtement, c’est parce que tu le portais lorsque tu me conduisis à la fête, et que je ne voulus pas perdre l’occasion de donner une louange à un homme qui aime autant que toi à être loué.

— Zitto ! zitto ! il n’est point ici question de fête, mais d’une affaire sérieuse et qui doit être accomplie promptement. La jaquette, si tu m’aimes.

Annina, qui n’avait pas négligé l’essentiel pendant qu’elle moralisait, jeta le vêtement sur un tabouret, à la portée de la main du gondolier, au moment où ce dernier faisait ce tendre appel, et de manière à prouver qu’elle n’était pas surprise d’une confession de cette sorte, même quand elle n’était pas sur ses gardes.

— Si je t’aime ! Tu as la Jaquette, Gino, et tu peux chercher dans ses poches la réponse à ta lettre, dont je ne te remercie pas, puisque c’est le secrétaire du duc qui l’a écrite. Une fille serait plus discrète dans de semblables affaires, car on ne sait jamais si l’on ne prend pas un rival pour confident.

— Chaque mot est aussi vrai que si le diable lui-même l’avait écrit, jeune ›fille, murmura Gino en se dépouillant de son vêtement à fleurs, et en passant aussi rapidement l’habit plus simple.

— Le bonnet, Annina, et le masque ?

— Une personne qui porte un visage aussi faux n’a pas besoin d’un petit morceau de soie pour cacher ses traits, répondit-elle en jetant cependant au jeune homme les objets qu’il demandait.