Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/39

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dans le cerveau de Gino, confusion qui demanda quelque temps pour se dissiper. Le bateau était sur le grand canal et bien près du lieu de sa destination, avant que cet heureux changement dans l’esprit du gondolier eût été effectué. Néanmoins, l’exercice de l’aviron, l’air frais du soir et la vue de tant d’objets accoutumés lui rendirent son sang-froid et à sa prévoyance. Au moment où le bateau approcha de l’extrémité du canal, il commença à jeter les yeux autour de lui et chercha la felouque bien connue du Calabrois.

Quoique la gloire de Venise eût disparu, le commerce de cette ville n’était pas aussi nul qu’aujourd’hui. Le port était encore encombré de vaisseaux de divers pays, et l’on voyait les pavillons de la plupart des États maritimes de l’Europe en deçà de la barrière du Lido. La lune était assez haute pour jeter sa douce lumière sur toute l’étendue du bassin, et une forêt composée de vergues latines, des légers mâts des polacres et des vaisseaux d’un bois plus massif et plus régulièrement gréés, s’élevait au-dessus du tranquille élément.

— Tu ne peux être juge de la beauté d’un vaisseau, Annina, dit le gondolier qui était abrité sous le pavillon de la barque ; sans cela, je te dirais de regarder cet étranger de Candie. On dit qu’un aussi beau modèle n’est jamais entré dans le Lido.

— Nous n’avons point affaire au vaisseau de Candie, Gino ; ainsi joue de l’aviron, car le temps presse.

— Il y a beaucoup de vin grossier de Grèce dans sa cale ; mais, comme tu dis, nous n’avons rien à démêler avec lui. Ce grand bâtiment, qui est amarré près du plus petit bâtiment de nos mers, est le vaisseau d’un luthérien des Îles Britanniques. Ce fut un triste jour pour la république, jeune fille, que celui où l’on permit à l’étranger d’entrer dans les eaux de l’Adriatique.

— Est-il certain, Gino, que le bras de saint Marc eût été assez long pour l’empêcher d’y pénétrer ?

— Ne faites pas une telle question, je vous prie, dans un lieu où tant de gondoles sont en mouvement ! Voici des Ragusains, des Maltais, des Siciliens et des Toscans sans nombre ; et voici également une petite flotte française à l’entrée du Giudecca : ce sont des gens qui marchent toujours de compagnie, soit sur terre, soit sur mer, pour faire usage de leur langue. Ah ! nous voici au terme de notre voyage.