Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/43

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d’un escalier sur lequel, comme à l’ordinaire, l’eau jetait quelques vagues. Sautant sur la première marche, il enfonça une petite pique de fer, à laquelle une corde était attachée, dans une crevasse entre deux pierres, et lui confia la sûreté de sa barque. Lorsque cette précaution fut prise, le gondolier passa rapidement sous l’arche massive de la porte d’eau du palais, et entra dans son immense mais sombre cour.

À cette heure et avec les tentations de plaisir qui s’offraient dans la place voisine, ce lieu était presque désert ; une porteuse d’eau était seule au puits, attendant que l’élément liquide se fût répandu dans le bassin, afin de remplir ses baquets, tandis qu’elle écoutait avec attention le bourdonnement de la foules qui était en dehors. Un hallebardier se promenait dans la galerie ouverte à l’extrémité de l’escalier du Géant, et de temps à autre le pas de quelque sentinelle se faisait entendre sous les arches creuses et pesantes des longs corridors : on n’apercevait aucune lumière à travers les fenêtres, et le bâtiment entier présentait un fidèle emblème de ce pouvoir mystérieux qui présidait aux destinées de Venise et à celles de ses citoyens. Avant que Gino se fût hasardé en dehors de l’ombre que projetait le passage par lequel il était entré, deux ou trois curieux parurent à l’entrée opposée de la cour, où ils s’arrêtèrent un instant pour contempler l’air mélancolique et imposant de ce lieu redouté ; puis ils disparurent dans la foule, qui s’agitait auprès de ce tribunal impitoyable et secret, comme l’homme se livre aux excès sous le coup d’un avenir imprévu et sans terme.

Désappointé dans son attente de rencontrer celui qu’il cherchait, le gondolier avança ; et, prenant courage par la possibilité qu’il entrevoyait d’échapper à cette entrevue, il essaya de fournir une preuve évidente de sa présence par un bruyant hem ! Au même instant une figure se glissa en arrivant d’un des côtés du quai et marcha rapidement vers le centre de la cour. Le cœur de Gino battit violemment, mais il résolut d’aller à la rencontre de l’étranger. Lorsqu’ils arrivèrent l’un près de l’autre, il devint évident, à la clarté de la lune qui pénétrait même dans ce triste lieu, que le dernier arrivant était aussi masqué.

— Que saint Théodore et saint Marc soient avec vous ! dit le gondolier. Si je ne me trompe pas, vous êtes l’homme que je viens trouver.