Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/12

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siècle peu guerroyant, ont amené depuis, il est vrai, de lentes innovations, et même quelques améliorations, dans la navigation des lacs d’Italie et de Suisse ; mais il y a encore peu de changement dans les habitudes et les opinions de ceux que leur genre d’industrie retient sur les eaux extérieures. Le Winkelried avait ses deux mâts divergents peu élevés, les vergues minces et ornées de pittoresques dessins en fer-blanc, les voiles légères et triangulaires, le passe-avant en saillie la poupe rentrée et penchée la proue haute et pointue, et en général il avait cette tournure classique et quelque peu affectée qu’on remarque aux vaisseaux représentés dans les vieux tableaux ou les vieilles gravures. Une boule dorée brillait au sommet de chaque mât ; car nulle voile ne surpassait les vergues minces et légères. Au-dessus de l’une d’elles s’élevaient les branches de chèvrefeuille avec leurs gais festons qui frémissaient au moindre souffle du vent d’ouest ; le corps du bâtiment répondait à l’appareil ; il était spacieux, commode et d’une forme convenable. Le fret, assez considérable, était pour la plus grande partie entassé sur le pont ; il formait ce que nos bateliers appellent une cargaison assortie ; elle était cependant principalement composée de marchandises étrangères, regardées alors comme objet de luxe, quoique l’usage les ait rendues maintenant presque indispensables dans l’économie domestique. Cependant les habitants des montagnes, même les plus riches, n’en font encore qu’une faible consommation. On y avait joint les deux principaux produits de la laiterie, destinés à être vendus dans les pays les plus arides du midi. Les effets d’un nombre peu ordinaire de passagers étaient placés sur le haut de la partie la plus pesante de la cargaison, avec un ordre et un soin que méritait à peine leur peu de valeur. Cet arrangement, nécessaire à la propreté et même à la sûreté de la barque, avait été fait par le patron, dans la vue de placer chaque individu près de son bagage, de prévenir ainsi toute confusion, et de laisser à l’équipage l’espace et la facilité nécessaires pour la manœuvre.

Tout était prêt ; le vent était favorable, un jour pur éclairait l’horizon ; il était tout simple que le patron du Winkelried, qui en était aussi le propriétaire, éprouvât le désir de partir ; mais un obstacle imprévu se présenta à la porte même où se tenait l’officier chargé de surveiller ceux qui entraient dans la ville ou qui en sortaient par la porte d’eau ; cinquante individus représentant au moins vingt-cinq nations se pressaient autour de lui, parlant tous