Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/35

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que le premier ; des larmes coulaient sur leurs joues sillonnées par l’âge, lorsqu’il s’approcha.

— Nobles seigneurs, dit-il, si les félicitations d’un pauvre batelier sont dignes de vous être offertes, je vous supplie de les accepter ; mais les vents sont insensibles, ils s’inquiètent peu de nous faire perdre ou gagner et je suis obligé, comme patron de la barque, de rappeler à vos seigneuries que nous sommes attendus par beaucoup de voyageurs qui sont loin de leur demeure et de leurs familles ; et je ne parle pas du pèlerin et de ces autres aventuriers qui s’impatientent sans doute, mais dont le respect lie la langue tandis que nous perdons les moments les plus favorables de la journée.

— Par saint François, il a raison, dit le Génois en se hâtant de faire disparaître les traces de sa récente émotion. La joie de nous revoir nous a fait oublier tous ces pauvres gens, il est temps que nous y pensions. Peux-tu m’aider à être dispensé de cette signature ?

Le baron réfléchit : l’on peut facilement imaginer que, s’il était disposé à obliger même un étranger qui se trouvait dans une position embarrassante, sa bonne volonté n’avait pas diminué en découvrant en lui son ami le plus cher ; mais réussir n’était pas facile ; l’officier s’était prononcé d’une manière trop publique pour qu’il fût probable qu’il voulût céder ; il fallait cependant essayer, et le baron lui adressa les plus vives instances.

— Il n’y a pas un seul de nos syndics que j’obligeasse avec plus de plaisir que vous, noble baron, mais ceci passe mon pouvoir, répondit l’officier ; la sentinelle ne peut qu’obéir strictement aux ordres de ceux qui l’ont placée à son poste.

— Ce n’est pas nous qui nous plaindrons d’une telle réponse, Gaëtano nous avons passé ensemble trop de jours dans la tranchée, nous avons trop souvent dormi dans des situations ou la plus légère faute de discipline aurait pu nous coûter la vie, pour quereller ce brave homme de sa ponctuelle vigilance. Puis il faut convenir qu’on ne réussit guère à ébranler la fidélité d’un Suisse ou d’un Génevois.

— D’un Suisse bien payé pour être fidèle, répondit le Génois en riant d’un air qui prouvait assez qu’il venait de répéter une de ces plaisanteries un peu mordantes que les meilleurs amis sont peut-être les plus sujets à s’adresser ; le baron la prit en bonne part, et, prouva par sa réponse que l’allusion lui rappelait ce