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CHAPITRE IV.


Trois à toi, trois à moi, et trois encore font neuf.
Shakespeare, Macbeth.



Le vent léger qui se jouait autour du Winkelried le laissait presque immobile, et ce ne fut qu’en donnant la plus grande attention à l’arrangement des voiles et en employant toutes les petites ressources des bateliers, qu’on parvint à rentrer dans la pointe orientale au moment où le soleil atteignait la sombre ligne du Jura. Le vent tomba tout à fait, la surface du lac devint semblable à un miroir ; il ne fut plus possible d’avancer. Les hommes de l’équipage, totalement découragés et fatigués des manœuvres précédentes, allèrent se coucher au milieu des bagages et tâchèrent de dormir en attendant la brise nord qui, dans cette saison de l’année s’élève d’ordinaire une heure ou deux après le coucher du soleil.

Les passagers prirent alors libre possession du pont ; la chaleur, accablante pour cette époque de l’année, avait été rendue plus insupportable par la réflexion continuelle des rayons du soleil ; et les voyageurs, pressés, presque étouffés, se sentirent renaître en respirant l’air frais du soir. L’effet produit par ce changement ressembla à celui qu’on observe sur un troupeau de moutons qui, après avoir en vain cherché un abri sous le feuillage durant l’ardeur du jour, se dispersent joyeux dans la prairie dès que le serein vient rafraîchir leurs flancs haletants.

Baptiste, comme cela n’arrive que trop aux hommes qui possèdent une autorité passagère, avait tyrannisé sans pitié les passagers d’un rang inférieur, et plus d’une fois même menacé des dernières violences ceux qui manifestaient trop ouvertement l’impatience qu’ils ressentaient d’une position si incommode et pour eux si inusitée ; personne peut-être n’est moins sensible aux plaintes d’un novice que le marin accoutumé à braver les tempêtes, familiarisé avec les souffrances et la contrainte d’un vaisseau libre de s’en distraire par les devoirs qu’il a à remplir et