Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/21

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les observations, il réussit à faire de son assiette un épitomé du premier service. Elle contenait au centre du poisson, du bœuf et du jambon ; tout autour, il avait arrangé des croquettes, des rognons et divers ragoûts ; le tout était surmonté d’une pyramide de divers légumes, et les bords de l’assiette étaient garnis de sel, de poivre et de moutarde. Cette accumulation de bonnes choses exigea du temps et de l’adresse, et la plupart des convives avaient plusieurs fois changé d’assiette avant qu’Aristobule eût mangé un morceau, excepté la soupe. L’heureux moment où sa dextérité allait être récompensée arriva enfin, et le gérant du domaine de Templeton allait passer à la mastication ou plutôt à la déglutition, car à peine songeait-il à la première de ces opérations, quand il entendit sauter le bouchon d’une bouteille. Il aimait passionnément le vin de Champagne, quoiqu’il n’eût jamais fait assez de progrès dans la science de la table pour savoir quel était le moment de le servir. Ce moment était arrivé pour tous les autres convives qui avaient fait honneur au premier service ; mais M. Bragg en était encore aussi loin que lorsqu’il s’était mis à table. Cependant, voyant Pierre arriver près de lui avec la bouteille, il présenta son verre, et jouit d’un moment délicieux en avalant un breuvage qui surpassait de beaucoup tout ce qu’il avait jamais vu sortir d’un goulot couvert de goudron ou de plomb dans divers cabarets de sa connaissance, où les bouteilles semblaient être des batteries ennemies, chargées de maux de tête et d’estomac.

Aristobule vida son verre d’un seul trait et fit claquer ses lèvres après l’avoir vidé ; mais ce fut un instant malheureux, son assiette, chargée de tous les trésors qu’il avait amassés, ayant été enlevée par un domestique, qui crut, en voyant un tel salmigondis, qu’aucun de ces mets n’avait été du goût de ce convive difficile.

Il était nécessaire qu’il recommençât ses opérations ; mais il ne pouvait le faire sur le premier service, qui venait de disparaître. Le second l’ayant remplacé, Aristobule se dédommagea amplement sur le gibier. La nécessité l’obligea alors à attendre que les divers mets lui fussent présentés, et se servant de son couteau et de sa fourchette avec sa promptitude et sa dextérité ordinaires, il avait mangé à la fin du second service plus qu’aucun autre des convives pendant tout le dîner. Il commença alors à parler, et nous rapporterons la conversation à partir du moment où il