Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/60

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rer que le maître d’hôtel mulâtre était sur le pont. Un seul moricaud ne ferait pas un pareil bruit. Allez voir, Miles, ce que ce peut être. Est-ce que l’Afrique nous aurait pris cette nuit à l’abordage ?

J’allais obéir quand Caton, le cuisinier, sortit par l’écoutille, tirant après lui un autre nègre qu’il avait saisi par la laine. En un instant ils furent tous deux sur le pont, et qu’on juge de mon étonnement quand je reconnus les traits agités de Nabuchodonosor Clawbonny !

Neb était parvenu à se glisser à bord avant qu’on eût levé l’ancre, et il était resté caché parmi les barriques, les poches remplies de pommes et de pain d’épice, jusqu’au moment où le cuisinier l’avait découvert. Les provisions du pauvre diable étaient épuisées depuis vingt-quatre heures, et, de toute manière, il n’aurait pu garder l’incognito beaucoup plus longtemps. Dès qu’il fut sur le pont, Neb regarda vivement autour de lui pour reconnaître à quelle distance le bâtiment était de terre, et quand il ne vit de tous côtés que de l’eau, il fit des contorsions de joie. M. Marbre exaspéré, regardant ces démonstrations comme un nouvel outrage, lui donna sur l’oreille un coup de nature à envoyer un blanc à vingt pas ; mais ce coup bien appliqué, tombant sur la partie invulnérable de son être, ne produisit sur Neb aucun effet.

— Ah ! tu es un nègre, n’est-ce pas ? s’écria le lieutenant, mis hors de lui par l’insensibilité apparente de Neb ; en bien ! empoche cela, et voyons un peu si tu es pur sang.

Comme accompagnement à ces paroles, les coups de pieds se mirent à pleuvoir sur l’os de la jambe du pauvre Neb, qui tomba aussitôt à genoux, demanda merci, et dit qu’il allait tout expliquer, protestant qu’il ne s’était pas enfui de chez son maître, comme M. Marbre le lui reprochait tout en lui appliquant cette rude correction.

J’intervins alors, en apprenant à M. Marbre avec tout le respect que je devais à mon supérieur, ce qu’était Neb, et quel avait été probablement son motif en me suivant à bord. Cette révélation me coûta cher ; car l’idée de « Jack » se faisant servir par un domestique fut la cause de mille quolibets pendant le voyage. Si je n’avais pas été si actif et si prêt à tout faire, ce qui est le meilleur moyen de se faire bien venir à bord, il est probable que ces plaisanteries auraient été encore plus fréquentes, et de nature à emporter encore plus la pièce. Quoi qu’il en soit, j’en éprouvai beaucoup d’ennui et il fallut tout l’attachement que je portais à Neb pour que je ne lui fisse pas payer cher son exploit. Mais je réfléchis qu’après tout, c’était par dévouement pour son maître qu’il l’avait