Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/206

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voir prolonger sa visite. La corvette était assez près déjà, pour qu’il n’y eût pas pour lui de temps à perdre. Pour amariner une prise, il eût fallu courir le danger presque certain de tomber entre les mains de l’ennemi ; et se faisant de nécessité vertu, M. Gallois voulut se montrer poli pour ceux qu’il ne pouvait piller. La forme chez lui valait mieux que le fond ; mais la forme a tant d’empire sur nous ! Moi-même, je ne pus me défendre d’en ressentir l’influence, et je pardonnai presque au corsaire l’action indigne qu’il avait commise si récemment à mon égard.

Le canot ne fut pas plus tôt hissé à bord que le Polisson ne tarda pas à prendre de l’aire. Il passa si près de nous, sur la cime d’une vague, qu’on pouvait distinguer l’expression des figures, et il y en avait peu qui montrassent la même longanimité que celle du commandant. Celui-ci avait toujours le sourire sur les lèvres, pendant le caquetage continuel qui bourdonnait nuit et jour à ses oreilles ; mais sa longue-vue se dirigea immédiatement sur la corvette, qui commençait à l’inquiéter un peu.

Comme nous n’étions plus que quatre, je ne vis pas la nécessité de nous harasser pour mettre le vent dans les huniers, lorsqu’il était certain que la corvette nous forcerait d’amener. L’Aurore resta donc stationnaire, attendant les événements avec une patience toute philosophique.

— Il est inutile, Moïse, de tenter de nous échapper, lui dis-je ; ce n’est pas à nous quatre que nous pourrions gagner de vitesse la corvette.

— Ah ! voici qu’elle hisse son pavillon. — Et puis le coup de canon d’usage ! — C’est le pavillon blanc anglais, preuve qu’elle est commandée par quelque amiral, ou vice ou contre-amiral de l’escadre blanche, tandis que, si je ne me trompe, les deux frégates ont arboré des pavillons bleus. S’il en est ainsi, ces bâtiments ne naviguent pas de conserve.

La longue-vue me confirma le fait, et nous dûmes supposer que les trois bâtiments anglais n’appartenaient pas à la même escadre. Voici quelles étaient, pour le moment, les positions respectives : L’Aurore était en panne, sa misaine carguée, ses basses voiles dehors, sa grande voile serrée, son grand hunier sur le mât, les perroquets sur le ton, le foc et la brigantine dehors. Le Polisson prenait chasse en cherchant à se mettre sous le vent des deux frégates du vent,