Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trente-un canons, et ses bastingages peints en blanc. A-t-on jamais vu pareille chose en mer !

Marbre avait raison ; c’était bien le Rapide, et sans doute les regards de lord Harry Dermond et de ses officiers seraient dirigés sur nous dans très-peu d’instants, car la distance entre les deux frégates n’était que de deux encâblures. En attendant, il fallait s’occuper de celle qui était en tête.

— Pouvez-vous me dire quelque chose des deux bâtiments qui nous restent au sud ? demanda sans préambule un officier, à l’aide du porte-voix.

— Rien que ce que vous voyez, Monsieur. Je suppose que ce sont des Français, et je vois qu’ils portent sur nous.

— Sur nous ! s’écria le capitaine anglais d’une voix assez forte pour se faire entendre sans porte-voix ; — en effet ! — pare à virer ! — la barre dessous ! — décharge derrière ! — brasse devant !

Ces commandements donnés à de courts intervalles, et d’une voix de tonnerre, furent exécutés avec promptitude. Il en résulta que la frégate vira vent devant droit par notre travers du vent, et si près de nous qu’on aurait pu jeter un biscuit sur son bord. Mais l’évolution se fit avec une précision admirable ; à peine la frégate perdit-elle de son aire, et elle s’élança aussitôt en avant, regardant ses ennemis droit en face.

— À présent, Miles, il est temps de faire porter et de gagner de l’avant. Le Rapide sait qu’on nous a parlé, et il supposera que nous sommes en règle ; mais il va venir ici pour virer à son tour dans les eaux de sa conserve, et, à moins d’être aveugle, il ne pourrait manquer de lire notre nom. Allons, brasse bien sous le vent, et droit la barre, Neb !

Nous réussîmes assez bien pour être à une encâblure du Rapide, au moment où il arriva au point que nous venions de quitter. Je ne pus douter qu’il ne nous eût reconnus. Il semblait incertain sur ce qu’il devait faire ; un officier était sur le passavant à nous examiner avec une longue-vue : et lorsque la frégate, en faisant son abatée, nous déroba à ses yeux, il courut à la lisse de couronnement ; c’était le jeune lieutenant, je le reconnus parfaitement à l’aide de ma longue-vue. D’autres vinrent bientôt le joindre, et, entre autres, lord Harry Dermond en personne. Je m’imaginai qu’ils me reconnaissaient moi-même, et que toutes leurs lunettes étaient braquées sur