Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manque de courage, lorsque je pense tout le contraire ; non, je tiens seulement à constater leur supériorité sur un point de l’architecture navale, au moment même où, après avoir construit un beau bâtiment, ils ne savaient point en faire usage.

Les dix premières minutes furent employées activement de part et d’autre à réparer les avaries ; de la part des Français, avec leur confusion, et, j’en suis certain, avec leur loquacité ordinaire ; et, de la part des Anglais, avec ensemble et avec une parfaite connaissance de ce qu’ils avaient à faire. Néanmoins, il y avait des exceptions. Ainsi, à bord du Cerf, j’observai un groupe de matelots occupés à déblayer le bâtiment et à enlever les débris du grand mât, et ils procédaient avec un sang-froid, une vigueur et une méthode qui prouvaient tout le parti qu’on aurait pu tirer de pareils hommes, s’ils avaient été convenablement dirigés, et surtout, je ne me lasserai pas de le répéter, si les officiers avaient compris l’importance extrême du silence à bord d’un bâtiment chargé de monde. Les Anglais ont dû autant de victoires à la taciturnité naturelle de leur nation, jointe à leur amour de l’ordre et de la discipline, poussé jusqu’à l’exagération, que leurs ennemis ont dû peut-être de revers à leur loquacité innée, qui sembla prendre un nouvel essor sous le règne des citoyens. Il est heureux pour nous que le caractère américain soit porté au silence et à la réflexion dans les cas graves ; nous ne sommes brouillons, bavards et fanfarons qu’en politique.

Voyant que l’orage allait selon toute apparence passer du côté sous le vent, nous restâmes quelque temps immobiles, pour épier le dénouement. Je fus surpris de la manière dont le Prince-Noir se tenait à l’écart, tandis que le Rapide laissait porter, et courait sur les traces du Cerf, le harcelant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, et faisant sur lui un feu des plus meurtriers. À la fin sir Hotham Ward arriva vent arrière, ayant un sillage deux fois plus grand que le Rapide, parce qu’il pouvait porter ses huniers. Il paraîtrait que M. Menneval n’était pas content de la manière dont sa conserve avait été traitée ; car, au lieu d’attendre qu’on l’attaquât de la même manière, il mit la barre à bâbord, vint au plus près du vent, et lâcha en lofant une bordée qui fut fatale au Prince-Noir, et son grand mât tomba immédiatement, entraînant après lui le mât de perroquet de fougue. La frégate anglaise se comporta bien dans des circonstances si critiques. Toutes les voiles de la misaine faisaient toujours