Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/22

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— Ce sera une excellente occasion pour Corny de voir un peu le monde, dit mon père, et je ne voudrais la laisser échapper pour rien au monde. Il est bon d’ailleurs que les jeunes gens apprennent de bonne heure à honorer leurs supérieurs.

— Eh bien ! soit, dit mon oncle qui, malgré ses opinions avancées en politique, avait un faible pour la puissance ; après tout, le Patron d’Albany est un homme des plus respectables et des plus riches ; que Corny aille le voir passer ; mais j’espère que vous permettrez à Pompée et à César de l’accompagner. Il est bon qu’ils voient comment est tenu un équipage de Patron.

Munis de cette autorisation, nous partîmes tous les trois de bonne heure, et mes conducteurs commencèrent par me montrer les beautés de New-York. C’était déjà une belle et noble cité, quoique en 1751 elle fût loin d’avoir les dimensions qu’elle a atteintes aujourd’hui. Vers onze heures, le flot de nègres et d’enfants qui se précipitaient hors de la ville nous entraîna, et nous ne nous arrêtâmes qu’à un mille de distance, sous quelques cerisiers, presque en face de la maison de campagne du lieutenant-gouverneur de Lancey. Il n’y avait pas que des enfants et des nègres sur la route : on voyait aussi des tabliers de cuir, et bon nombre d’ouvriers étaient venus prendre leur part du spectacle. Je vis même deux ou trois personnes, l’épée au côté, qui rôdaient dans les bois et dans les contre-allées, preuve que des gens comme il faut avaient aussi le désir de voir le grand personnage. Enfin on aperçut les deux piqueurs et le carrosse, traîné par de gros chevaux noirs que César déclara être de la vraie race flamande. Le patron était un homme de bonne mine, portant un habit écarlate, une large perruque et un chapeau à trois cornes. Je remarquai que la poignée de son épée était d’argent massif. Mais l’épée de mon père avait aussi une poignée d’argent massif ; c’était un cadeau que mon grand-père lui avait fait au moment où il entrait dans l’armée. Le Patron rendit gracieusement en passant les saluts qu’on lui adressait, et tous les spectateurs semblaient ravis du spectacle qu’ils avaient sous les yeux. C’était chose rare dans les colonies que de voir un semblable équipage, et je m’applaudis de ma bonne fortune.

Il arriva un petit incident qui rendit cette journée longtemps