Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 25, 1846.djvu/31

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enfin il blesse l’histoire et la tradition, l’Esprit malin n’ayant pas d’orteils, puisqu’il a les pieds fourchus.

Je me bornerai à reproduire cette partie de notre conversation ; elle suffira pour donner une idée des opinions de Jason, et je serai mieux compris quand j’en viendrai à comparer ses opinions à ses actes.

Dirck et moi nous devînmes inséparables à mon retour du collège. Je passais des semaines entières chez lui, et il me rendait mes visites de grand cœur. Nous avions pris alors tout notre développement ; et le cœur du Grand Frédéric aurait tressailli d’aise à voir mon jeune ami lorsqu’il eut accompli sa dix-neuvième année. Il avait près de six pieds, et tout annonçait qu’il serait fort en proportion. Ce n’était pas un de ces Apollons délicats à la tournure svelte et légère ; c’était un Hercule aux larges épaules ; et sa mère, petite femme trapue, Hollandaise jusqu’au bout des ongles, avait toutes les peines du monde à l’étreindre dans ses bras, quand elle lui faisait baisser la tête pour l’embrasser, ce qui arrivait régulièrement deux fois par an, à Noël et à la nouvelle année. Il avait le teint clair, les membres robustes et bien proportionnés, les yeux bleus, les cheveux blonds, et une figure qui pouvait passer pour belle. Il avait bien, je ne chercherai pas à le cacher, une certaine lourdeur de corps et d’esprit qui ne s’accorde pas très-bien avec l’idée qu’on se fait généralement de la grâce et de la beauté. Néanmoins, Dirck était un garçon qui valait son pesant d’or, pur comme le jour, bon comme le pain, brave comme un coq de combat.

Jason était bien différent, sous plusieurs rapports essentiels. Il était aussi grand, mais très-anguleux, et d’une contenance et d’une démarche si mal assurée qu’il semblait tout dégingandé. Cependant il n’était pas dépourvu de force, ayant travaillé dans une ferme jusqu’à près de vingt ans. Il était actif comme un chat, ce qu’on n’aurait jamais soupçonné en voyant son dandinement perpétuel. Sous le rapport intellectuel, Jason saisissait une idée deux fois plus vite que Dirck ; mais il ne la saisissait pas toujours du bon côté. Au contraire, que le Hollandais eût le temps de la réflexion, et il était rare que son gros bon sens n’allât pas droit au but. En même temps, c’était une des meilleures